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pas, me dit-il avec un mouvement d’impatience, que l’empereur est le plus Polonais de son empire ? »

La Russie d’ailleurs, quelle que soit son intimité avec la Prusse, n’oublie et n’oubliera certainement pas sa propre situation en Europe. C’est sur la Turquie, la Mer-Noire et les rives du Bas-Danube que se porte son ambition. Elle sait, et une dure expérience lui a naguère prouvé qu’elle peut rencontrer là la France et l’Angleterre activement unies contre ses desseins. Si une guerre nouvelle s’élevait aujourd’hui à propos de l’Allemagne, elle ne se renfermerait pas en Allemagne ; la question ou, pour parler plus exactement, les questions de l’Orient européen s’élèveraient aussitôt, et, si la Russie s’était faite en Allemagne l’intime allié de la Prusse, elle pourrait se voir bientôt engagée pour son propre compte dans une autre lutte, dans la lutte pour elle la plus redoutable. Les états despotiquement gouvernés sont les moins accessibles aux impressions imprévoyantes et aux amitiés platoniques ; le gouvernement russe est trop attentif et trop éclairé sur ses propres intérêts pour aller étourdiment, au profit de n’importe quel allié, à la rencontre d’un grand péril personnel. Ce qu’il a toujours le plus travaillé à prévenir ou à détruire, c’est l’alliance de la France et de l’Angleterre j à coup sûr, la campagne de Sébastopol n’a pas atténué pour lui cette inquiétude ; il ne provoquera pas en Europe des événemens qui pourraient ramener contre lui la combinaison européenne qu’avec raison il redoute le plus.

Plus je considère, soit dans les gouvernemens, soit dans les peuples, la politique générale et les dispositions actuelles des grands états européens, plus je demeure convaincu qu’il n’y a là point d’intérêt impérieux, point de passion publique qui aspire à la guerre, la provoque naturellement, et justifie l’inquiétude qu’on en ressent.


VII

Je veux faire un pas de plus, je veux sonder le caractère et les dispositions personnelles des principaux acteurs politiques qui président aujourd’hui au gouvernement des peuples. Dans notre temps d’idées générales et d’abstractions philosophiques, on ne tient pas assez de compte de cet élément individuel dans l’histoire des états ; ils ont bien souvent dû à la pensée et à l’influence d’un homme leur bonne ou leur mauvaise fortune, leur salut ou leur ruine.

De tous les chefs d’état en Europe, l’empereur Napoléon III est à coup sûr celui dont le rôle et la responsabilité dans la question