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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/290

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responsables à bien d’autres qu’à elles-mêmes. Il ne m’appartient pas de pressentir ce que fera la Prusse, ni de lui donner des conseils ; c’est une nation vaillante et éclairée, elle a un gouvernement national et habile qui est en marche pour devenir un gouvernement libre. Elle vient d’obtenir un succès considérable, qu’elle ne le rende pas insupportable à ses voisins, qu’elle ne gâte pas sa destinée par des passions et des ambitions grossières et aveugles qui ne sont plus celles de la civilisation moderne et de la grande pensée humaine. Quant à la France, dans la crise où elle est engagée de si près, elle vient de faire depuis deux ans acte de modération et de prudence, acte de prévoyance et de force ; elle a gardé la paix, elle s’est mise en mesure pour la guerre. C’est quelque chose, ce n’est pas assez ; la situation, telle qu’elle reste aujourd’hui pour la France elle-même comme pour l’Europe, n’est pas tolérable ; elle suscite des alarmes, elle impose aux peuples des charges et tient les gouvernemens sur un qui vive qu’ils ne sauraient accepter longtemps. Il faut un avenir plus clair et plus long pour que la confiance, l’activité et la prospérité publiques reviennent ; il faut une politique plus décidée, plus cohérente et plus efficace pour assurer un tel avenir. Qu’en manifestant son dessein de mettre son état militaire sur le pied de paix, et en provoquant ses voisins à en faire autant, la France prenne l’initiative de cette politique ; je n’ai garde de prétendre en indiquer ici toutes les conditions et tous les moyens : je suis loin d’en méconnaître les difficultés et les périls ; mais je suis sûr qu’en l’adoptant hautement et en la pratiquant avec conséquence comme sans duperie, la France aurait grande chance de la propager autour d’elle, et qu’elle en recueillerait autant de crédit en Europe que de sécurité et d’impulsion prospère dans ses propres foyers.


GUIZOT.


Val-Richer, septembre 1868.