secret. Il persuada d’excellens juges et une bonne partie du public ; mais bientôt son système fit naître des systèmes opposés. Le débat fut repris, abandonné, repris encore, et l’on peut dire sans scepticisme qu’un siècle de recherche et de controverse n’a pas encore définitivement dissipé l’ombre mystérieuse dont Junius s’est enveloppé.
Nous ne raconterons pas l’histoire de cette longue enquête. Pour être claire, cette histoire aurait besoin de n’être pas abrégée, et elle se compose de détails infinis ; puis il faut bien ajouter qu’elle a déjà été donnée en grande partie et donnée ici même. La Revue a inséré de toute la question un récit et un examen aussi complets que le permettait la somme de documens dont nous pouvions disposer à l’époque où nous écrivions[1]. Presque au lendemain de l’impression de ces articles, l’exil nous conduisit en Angleterre, et mit à notre portée tous les moyens de corriger et de développer un travail dont nous avons depuis publié le résultat séparément[2]. On nous excusera de renvoyer le lecteur à cet essai, qui peut avoir quelque mérite d’exactitude, et qui a été assez approuvé en Angleterre pour n’être pas tout à fait étranger au renouvellement de curiosité dissidente et d’investigation contradictoire qui vient de se produire autour du nom de Junius.
La question était restée à peu de chose près dans l’état où je l’avais laissée, il y a dix-sept ans. De quarante concurrens au titre d’auteur les lettres de Junius, il m’avait semblé que trois seulement pouvaient être sérieusement discutés. Le premier était lord George Sackville ; cette hypothèse s’appuyait sur quelques vraisemblances morales. Elle expliquait les haines mortelles de Junius par les ressentimens de l’honneur et de l’orgueil offensés, elle donnait à l’écrivain un rôle dramatique qui m’avait d’abord frappé, et j’aurais souhaité qu’elle fût véritable ; mais les preuves sont vagues et faibles, les objections fortes, une surtout, et lord George Sackville n’a plus guère de partisans. Un autre prétendant venait de se montrer, c’était lord Temple. La publication longtemps annoncée des papiers des Grenville, cette famille de ministres, difficiles eux-mêmes à bien connaître, très divers d’opinion, très semblables de caractère, avait donné à M. Smith, bibliothécaire de leur manoir de Stowe, l’occasion de plaider la cause du beau-frère de Chatham. Quelques vraisemblances étaient pour lui, contre lui point d’impossibilité absolue ; mais il n’y avait de preuves dans aucun sens, et tout ce qu’on a pu dire en sa faveur laisse subsister