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« Quand Ampère à son cours est dans ses endroits difficiles, arides, dans ses défilés où il va pied à pied, oh ! alors il est pénible à suivre ; c’est de la littérature à dos de mulet.

« Le reste régulier, toujours régulier, mais excellent.

« Le mot d’ingénieux (et d’ingénieur) devrait avoir été inventé pour lui et pour sa méthode. »


Et encore (toujours du même carnet) :


« Ceux qui s’ennuient vite sont délicats, mais légers.

« Ceux qui ne s’ennuient pas aisément sont vite ennuyeux.

« Ampère est entre les deux : dans certaines parties arides de son enseignement, il ne s’ennuie pas assez vite.

« Il est une quantité d’accidens dans l’histoire des opinions humaines où il ne faut apporter que le rire de Voltaire et le branlement de tête de Montaigne. Ampère cherche partout la loi, et quelquefois il la fait. »


Je marque là les défauts ; mais que de profit, que d’intérêt dans la continuité de ces leçons ! Comme c’était juste en général, composé, suivi, pénétrant, non visant à l’effet, tiré de l’examen même des écrits et du fond direct des lectures, d’une interprétation toujours nette et la plus vraisemblable !

Ainsi dans les notes de mon auditeur, je trouve encore celle-ci :


« Ampère et Michelet ont fait chacun une leçon sur l’Imitation de Jésus-Christ. Michelet a soutenu que ce livre devait être du XVe siècle, non d’un moine, mais d’un Français séculier, et, selon toute apparence, de Gerson. Ampère a cru démontrer que ce livre ne pouvait pas être de Gerson ni du XVe siècle, mais du XIIIe ou XIVe, qu’il devait être d’un moine, et probablement d’un moine allemand ou lombard : un parfait contre-pied sur tous les points. — Il me semble qu’Ampère est dans le vrai. »


Au moment où Ampère déboucha dans l’étude de la littérature française proprement dite, il eut un désagrément. Il fit sous le titre d’Histoire de la formation de la langue française une grammaire de notre vieille langue, et en mettant le pied sur le domaine des grammairiens il se heurta à des épines, il trouva des adversaires tout munis et préparés. L’École des chartes est une forte école, comme l’École normale, comme l’École polytechnique : c’est aussi une école jalouse. Mal en prend à ceux qui vont chasser sur ses terres sans avoir un permis en bonne forme. Ampère avait fait précéder sa grammaire d’une magistrale préface, dans laquelle il exposait tout le plan de son livre à partir de la fin du XIe siècle. On ne lui tint compte de ces hautes vues, et quelques inexactitudes de fait qu’il avait commises, quelques étourderies même dont il était très