Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se louant des procédés dont il a été l’objet. Un billet de lord Barrington prouve qu’il regrettait de le perdre, et croyait avoir tout fait pour lui être agréable. Il ne paraît pas que jamais Francis se soit plaint de lui ; il est resté avec lui en bons termes, et c’est son assistance qu’il invoque l’année suivante pour lui ouvrir le chemin de la fortune.

Quel que soit Junius, c’est un personnage très odieux ; il l’est surtout s’il est Francis. Non-seulement, protégé par le secret, il dirige contre ceux qu’il choisit pour adversaires de virulentes attaques qu’il n’oserait soutenir en se nommant, non-seulement il fonde des accusations infamantes sur des faits douteux, hasardés, inexacts, mais il s’élève contre l’administration qu’il sert ; il dénonce, en prenant un masque, ceux qu’il ménage à visage découvert ; il profite, il abuse des informations qu’il doit à sa position officielle et à ses relations privées pour flétrir ceux qui ont tout lieu de ne pas le croire leur ennemi. Cette conduite n’aurait jamais été plus révoltante que le jour où il s’en serait pris à lord Barrington. Sans grief avouable, pour quelque froissement personnel, il aurait lancé contre celui avec qui il n’avait garde de rompre les traits les plus sanglans d’une polémique injurieuse. Il y semble avoir perdu son talent pour ne conserver que sa violence. On y lit des phrases comme celle-ci : « Le nom seul de Barrington comprend tout ce qu’il y a de bas, de cruel, de faux et de méprisable… C’est le cœur le plus noir après celui du duc de Grafton. » Pour expliquer de telles attaques envers un homme qui pouvait le perdre et dont il s’est en tout temps dit l’obligé, il faut supposer chez Francis une irritabilité malveillante, une cruauté heureuse des souffrances qu’elle inflige, un amour-propre qui ne pardonne rien, je ne sais quel mélange d’emportement et de mensonge, de témérité qui s’expose et de lâcheté qui se cache, enfin toutes les passions du libelliste anonyme. Un tel caractère est sans doute rare ; mais on doit avouer que ce que l’on sait de la vie de Francis n’interdit pas de supposer que ce caractère fût le sien.

Et voici qui serait plus odieux encore. Dans la théorie de Taylor, il faut admettre, ce qui d’ailleurs n’aurait nulle invraisemblance, que le gouvernement avait fini par déchirer le voile qui couvrait Junius. On l’a beaucoup dit après qu’il eut cessé d’écrire. Alors donc les ministres l’auraient fait taire en le menaçant de le livrer par son nom à la vengeance de ses ennemis ; mais ils auraient fait davantage, et les trésors de l’Inde auraient servi à payer son silence. Ce fait, que rien n’établit, soulève plus d’une objection sérieuse. D’abord, si des ministres ont connu Junius, comment son secret a-t-il été gardé si longtemps ? Comment aucun n’en a-t-il fait ou