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disponibles en promenant sous une presse complaisante quelques rames de papier, que les gouvernemens, une fois en possession d’une aussi attrayante faculté, résistent rarement à la tentation. Les limites d’abord posées ne tardent point à être franchies, et plus la puissance de l’instrument s’émousse par la multiplication des titres lancés dans la circulation, plus on en fabrique afin d’atteindre un résultat déterminé : abyssus abyssum invocat. C’est l’éternelle histoire de tous les assignats.

Le mal trouve sinon une atténuation, du moins un contrôle dans la prime qui s’établit sur le marché monétaire entre l’or et l’argent, traités comme des marchandises ordinaires, et le papier déprécié. La puissance d’acquisition de celui-ci rencontre une mesure dans la quotité d’or et d’argent fins contre laquelle il s’échange et qui permet d’établir un rapport exact entre le marché livré au papier-monnaie et les marches où règne la fixité de l’élément métallique. Tel est aujourd’hui le cas pour les États-Unis et pour l’Italie ; la cote régulière de l’or détermine chaque jour la valeur véritable des greenbacks ou des billets à cours forcé. Le cours forcé aboutit ainsi à une illusion ; il se réduit en une sorte de banqueroute partielle commise à l’égard de ceux qui ont stipulé une obligation avant l’émission imposée du papier. Quant aux négociations postérieures, tout se réduit à une complication de calcul, et le change peut encore s’établir sur une base régulière. Le pair nominal était par exemple à 100 de New-York sur Londres, 40 dollars étant estimés contenir autant d’or que 9 livres sterling ; mais une correction provenant de la rectification de Terreur commise ajoutait à ce prix 9 pour 100, et portait le change effectif à 109. Si l’or obtient sur les greenbacks une prime de 40 pour 100, l’acheteur d’un effet sur l’Angleterre doit le payer dans la même proportion, c’est-à-dire ajouter un supplément de 40 pour 100 au taux primitif de 109. On arrive ainsi au chiffre de 152 3/5 pour le change présent[1].

Lorsque, l’arbitraire fait un pas de plus, lorsque pour éviter un rapprochement humiliant ou pour pousser à bout une doctrine décevante, il interdit la cote de l’or et prohibe l’exportation des métaux précieux, il n’est plus possible de tourner la difficulté. Les créanciers du pays ainsi gouverné ne peuvent plus, en important de l’or, faire le calcul de la perte subie sur le papier, instrument nominal du paiement ; ils sont forcés de recevoir des effets d’une

  1. On ajouta 40 au prix nominal de 100, — ce qui donne 140 ; ensuite on augmente cette dernière somme de la prime de correction de 9 pour 100, nécessaire pour arriver au pair effectif, plus 40 pour 100 d’accroissement sur ce supplément, c’est-à-dire 3 3/5e, ce qui produit le total de 152 3/5e.