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La lutte commença dès le lendemain ; après mille incidens dont l’histoire a conservé le récit, elle aboutit au serment du Jeu de Paume (20 juin) et à la foudroyante apostrophe que Mirabeau lança le 23 juin au marquis de Dreux-Brézé. Entre la harangue mesurée, respectueuse et fidèle dont le texte nous a été transmis par Frochot, et le vigoureux défi qui termina la séance du 23 juin, il s’était écoulé moins de deux mois. Ce court délai avait suffi pour consommer la révolte et la victoire du tiers-état.

Ce fut à la suite des journées d’octobre que le modeste député de la Côte-d’Or entra dans la familiarité de Mirabeau. Une émeute terrible, suscitée suivant les uns par la famine, suivant les autres par les intrigues du duc d’Orléans, avait éclaté à Paris, Lafayette, alors dans toute la force de sa popularité, n’avait pu rétablir l’ordre qu’en ramenant de Versailles le roi et la cour, et en conseillant le départ du duc d’Orléans, qui fut chargé d’une mission en Angleterre. Mirabeau, qui passait pour être attaché au parti d’Orléans, considérait le départ du prince comme une désertion et comme une faute. Il voulait que le procès dans lequel était impliqué un prince du sang membre de l’assemblée nationale fût jugé par l’assemblée elle-même, et il prépara un discours dont la minute, écrite et corrigée de sa main, a été aussi trouvée dans les papiers de Frochot. « Depuis des mois entiers, écrivait-il, on m’accuse d’être un des principaux agens du duc d’Orléans, et, pour tout dire en un seul mot, son complice ; j’ai pu, j’ai dû mépriser ces dégoûtantes absurdités aussi longtemps qu’elles n’ont été que le perfide passe-temps de l’envie et de la malignité. J’ai tâché de répondre par mes services, et j’ai regardé toutes ces machinations comme le véritable émolument de ma chevalerie ; mais aujourd’hui que le départ de M. le duc d’Orléans et les motifs qu’en donnent ses ennemis accréditent tous les bruits injurieux contre ce prince et ceux dont on a jugé à propos de composer son parti, je relève moi-même ces allégations, et je provoque les accusateurs au grand jour. Je demande donc que le président se retire le plus tôt possible vers le roi, et le supplie en votre nom de faire revenir M. le duc d’Orléans pour reprendre immédiatement ses fonctions, rendre compte de sa conduite, si elle est inculpée, et subir contradictoirement avec ses accusateurs, quels qu’ils soient, le procès dont vous indiquerez l’objet, les formes et les juges. »

Au moment de prononcer ce discours, Mirabeau s’arrêta devant les conseils de Frochot, qui lui signala l’inutilité, peut-être même l’imprudence d’une telle démarche. Avec cette facilité qui souvent entraîne d’un extrême à l’autre les âmes passionnées, il se rapprocha de Lafayette, rechercha son alliance, conçut la pensée de