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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/453

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aveugles de la royauté, tantôt contre les imprudentes doctrines qui déjà pervertissaient l’esprit, de 1789, il remplit le rôle d’avocat-général du tiers-état, c’est-à-dire de la nation monarchique et libérale. L’armoire de fer a révélé le secret de ses relations avec la cour ; les mémoires du comte de La Marck nous ont appris comment dès le mois de juin 1789 Mirabeau se montrait disposé à soutenir la cause de la royauté. Les débats de l’assemblée constituante et les papiers de Frochot nous montrent avec quelle ardeur, par quels procédés, il défendait en même temps la cause populaire, et comment il obtenait dans toutes les discussions un ascendant qu’aucun orateur n’a jamais égalé.

Ainsi que le remarque M. L. Passy, « la carrière et les travaux de Mirabeau se divisent en deux parts très distinctes ; l’une secrète, l’autre publique ; l’une diplomatique, l’autre oratoire ; la part de la cour et la part du public. » Pour ses rapports avec la cour, il se servait d’un intermédiaire sûr et discret, du comte de La Marck ; pour ses travaux législatifs, il avait la collaboration du pays tout entier. Une décision royale lui avait accordé la franchise postale : il recevait par chaque courrier des monceaux de lettres et de documens de toute nature sur les questions à l’ordre du jour. Il avait des bureaux, des secrétaires, ce qu’il appelait son atelier, pour lire cette énorme correspondance et pour préparer les élémens des discours qu’il prononçait à l’assemblée. Frochot, devenu son ami, était au premier rang dans sa confiance. Mirabeau usait et abusait de lui. Il lui demandait à tout moment son avis, des notes, des mémoires ; il le chargeait de se concerter en son nom avec les membres de l’assemblée ; il l’associait aux délicates négociations parlementaires qui précédaient les votes importans. Les habitudes laborieuses de Frochot, son esprit conciliant, sa probité, sa modestie, le rendaient tout à fait propre à ce rôle secondaire, qu’il remplit avec un dévoûment absolu. Les documens recueillis par M. L. Passy montrent bien à quel degré l’intimité s’était établie entre ces deux hommes, et on y trouve des indications précieuses sur la vie publique et le caractère de Mirabeau.

Mirabeau a laissé un grand renom comme orateur. Sa parole retentit encore dans la postérité. On cite de lui des fragmens considérés à juste titre comme des modèles de l’éloquence. En citant ces fragmens dans les cours de littérature ou dans les histoires de la révolution, l’on se figure un génie éclatant, mais inégal, apparaissant dans les grandes occasions, indifférent aux petites causes, et ne frappant des coups de foudre qu’aux heures où la passion l’enflamme. Ce jugement est incomplet. Mirabeau dédaignait d’être homme de parti ; mais, si l’on suit avec attention les débats de