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nouvelle décrétée par la convention. Il faut lire le procès-verbal de cette solennité politique et champêtre. C’est là encore un trait de la physionomie révolutionnaire. « En tête marchaient les commissaires des municipalités. Dix-huit jeunes filles vêtues de blanc et ornées de ceintures tricolores les suivaient. Sur un brancard de feuillage décoré d’emblèmes républicains et couronné par le bonnet de la liberté, les plus jolies filles du canton portaient l’acte constitutionnel. Un détachement de la garde nationale fermait la marche. Le cortège prit place dans l’église au bruit des salves d’artillerie, et une jeune fille récita un discours auquel le président répondit galamment. La garde nationale s’étant retirée, le secrétaire de l’assemblée lut les articles de la constitution et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La lecture achevée, l’assemblée, d’une seule voix, entonna les chants patriotiques ; mais les chants et les acclamations ne suffisaient pas. On vota, et, à l’unanimité des quatre cent dix-sept votans, la constitution de 1793 fut acceptée. Après avoir chargé Claude Seroin, huissier, de porter à la convention le procès-verbal de cette séance, l’assemblée, au cri de vive la république ! se rendit au pied de l’arbre de la liberté pour y célébrer par des hymnes l’allégresse de ce beau jour. » La même fête était organisée, à la même heure, dans tous les cantons de France ; partout, aux rayons du soleil de juillet, les jeunes filles, vêtues de blanc, portaient à l’autel la constitution mollement étendue sur le feuillage, couronnée du bonnet de la liberté, acclamée, votée avec un enthousiasme unanime, et c’était la constitution de 1793 ! N’y a-t-il pas là un sujet d’amères réflexions pour tous les auteurs de constitutions ? A quoi sert le baptême si bruyant des acclamations populaires ? Que valent ces votes de l’enthousiasme ? Non, l’expérience est faite, ne comptons plus les voix, ne nous livrons plus à de puériles opérations d’arithmétique pour proclamer qu’à tel jour, à telle heure, la nation s’est livrée définitivement à un régime politique, à une république ou à un homme. Le mérite, le droit d’un gouvernement, résident ailleurs que dans ces sortes de manifestations, qui trop souvent ont dégénéré en parades. La liberté ne procède point de l’acclamation. Elle cesserait d’être ce que nous voulons qu’elle soit, ce qu’elle est réellement, si elle demeurait subordonnée aux mobiles caprices d’un vote enthousiaste. Elle repose sur des principes indestructibles de morale, de justice, de tolérance, que les penseurs et les philosophes ont tirés de la conscience humaine, et qui, l’histoire le prouve, ne plient pas aussi facilement qu’on le suppose sous la tyrannie du nombre ou sous les efforts des passions. Pourquoi ne pas le rappeler ? les foules interrogées ont toujours répondu affirmativement aux