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majeure partie de mes collègues n’en sachant pas plus que moi, jugez comme il était facile de nous tromper ! Les dénonciations occupaient la majeure partie de nos séances, et c’est là qu’on voyait la haine et la vengeance des collègues qui nous dirigeaient. Si l’on avait le malheur de discuter des opinions, ce n’était plus que menaces. Toujours tremblant, toujours dans les craintes, voilà comment j’ai passé les huit mois que j’ai exercé cette malheureuse place ! » Tel était l’aveu naïf et misérable de l’un de ces hommes, comme il y en eut tant alors, qui servirent de comparses dans le drame de la terreur.

M. L. Passy, dont nous suivons la relation, puisée dans les papiers de Frochot et dans les archives de la Côte-d’Or, a consacré tout un chapitre à l’histoire de la terreur dans la ville de Dijon sous le proconsulat de Bernard de Saintes. Nous laisserons de côté cette partie de ses intéressantes recherches. Il s’agit là d’événemens trop connus, dont il a été fait depuis longtemps justice. A quoi bon s’arrêter à ces hideuses scènes qui ont déshonoré la révolution et qui auraient pu compromettre les conquêtes de 1789, si les conquêtes fondées sur la raison et la justice n’avaient point la vertu de traverser impunément tous les crimes ? Chacun sait que l’année 1793 a vu la terreur régner dans la capitale et dans les grandes villes ; mais ce que l’on ne sait pas aussi bien, et ce qu’il n’est pas inutile de rappeler, c’est que la terreur n’a pas épargné les plus minces bourgades ! Partout l’esprit de haine et de vengeance inspirant de misérables coteries, les majorités paisibles opprimées par une minorité turbulente, la proscription s’acharnant contre la supériorité du mérite et contre le souvenir des services rendus, en un mot la terreur partout ! Les violences de Paris n’auraient point suffi pour décourager et dégoûter les honnêtes patriotes de 1789. On aurait tenu compte des élémens révolutionnaires qui fermentent toujours dans une grande capitale, et l’on aurait dit ce que l’on a souvent répété depuis : Paris n’est pas la France ! Malheureusement aucune partie de la France n’était épargnée. L’histoire du modeste canton d’Aignay, telle qu’elle nous est retracée d’après des documens authentiques, c’était à la même heure celle de tous les cantons. Ainsi s’expliquent le sentiment d’indignation qui s’empara du pays tout entier et la réaction qui suivit la terreur. Les esprits les plus libéraux étaient désabusés : ils ne désiraient certes point revenir à l’ancien régime ; mais ils ne voulaient plus de la république. Dispersés sur tous les points du territoire, témoins et quelquefois victimes des excès révolutionnaires, les députés de la constituante, qui avaient conservé ou repris leur légitime influence sur l’opinion publique, attendaient une ère nouvelle, et se trouvaient naturellement prêts