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constater que le paiement en monnaie légale a été considéré avec plus de faveur dans les états de l’ouest que dans ceux de l’Atlantique. Cette différence de point de vue s’explique aisément par la différence d’intérêts. Les états de l’ouest n’en sont pas encore à posséder une richesse propre et à se suffire à eux-mêmes ; ils sont débiteurs pour des sommes considérables des grands centres producteurs de l’est, et ne seraient pas fâchés de voir prendre une mesure qui aurait pour résultat indirect de diminuer la valeur du signe monétaire représentant leurs engagemens. Les états de l’est au contraire ont une fortune plus stable, et ressentiraient douloureusement toute dépréciation des titres de la dette. Ces états, où se trouvent d’ailleurs le plus grand nombre des porteurs de five-twenties, ont fait pencher la balance du côté de la solution qu’indiquaient les vrais principes et l’équité. La convention républicaine de Chicago a placé le remboursement en or des five-twenties au nombre des articles du programme qu’elle vient de soumettre à la ratification des électeurs. Le parti démocratique a voulu d’abord inscrire sur son drapeau le principe opposé à celui que défendaient les républicains. Il n’a pas tardé à se diviser sur cette question. Une fraction importante des démocrates reconnaît aujourd’hui qu’aucune dérogation ne doit être apportée aux contrats antérieurs entre l’état et ses créanciers. La grande majorité du pays s’est donc désormais prononcée en faveur du paiement en or de la dette fédérale, le paiement en billets du trésor n’étant reconnu légitime que du jour où ces derniers seront cotés au pair.

Ce jour, à vrai dire, ne paraît pas très rapproché, et la dépréciation de la monnaie fiduciaire est une des complications les plus pénibles de la situation financière des États-Unis. La loi qui établissait le cours forcé fut très sévèrement traitée au moment où le congrès la vota. Plusieurs financiers la déclarèrent inconstitutionnelle. Que leur opinion fût ou non fondée, c’était une loi imposée par la nécessité la plus urgente : le congrès avait à opter entre le cours forcé et la banqueroute, car les dépenses des armées en campagne s’étaient élevées au-delà de la somme en or que possédait l’Union tout entière. Le pays du reste montra dès l’abord, par l’empressement avec lequel il se soumit à cette mesure, qu’il comprenait et partageait les sentimens qui l’avaient dictée. Sauf dans quelques états baignés par l’Océan-Pacifique, étrangers aux intérêts pour lesquels on se battait, et qui ne recevaient des événemens militaires aucun contre-coup, les effets du trésor circulèrent de main en main avec la même facilité et furent acceptés avec la même confiance que s’ils représentaient une valeur métallique réelle. Toutefois, à mesure que le congrès autorisait de nouvelles émissions et que la circulation fiduciaire devenait hors de proportion avec le capital qu’il était censé représenter, la valeur des greenbacks diminua de plus en plus. Le dollar en papier finit par ne plus valoir que 35 pour 100 de sa valeur nominale, et la