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essai d’un esprit ferme et grave, destiné à faire honneur à la Faculté de droit de Paris, qui l’a bien vite adopté, et à l’Académie des sciences morales, qui a couronné son livre. Le seul reproche qu’on puisse faire à son ouvrage, c’est d’être un peu vaste dans ses proportions. Comme il arrive à tous ceux qui débutent, M. Gide a été tenté de tout dire. Il ne sort pas de son sujet, mais il l’agrandit volontiers. Par exemple, on pourra trouver que le chemin est un peu long, pour arriver au sénatus-consulte Velléien, de remonter jusqu’aux lois de Manou. J’aime mieux, au lieu de le suivre chez tous les peuples, m’en tenir à ce qu’il nous dit de la Grèce et surtout de Rome. C’était le cœur de son sujet ; c’est aussi la partie de son livre qui me semble contenir le plus d’idées intéressantes et neuves.

En appréciant la condition de la femme romaine, M. Gide se sépare de la tradition et ne juge pas comme tout le monde. C’est une opinion toute faite chez nous que la femme était à Rome plus esclave et plus malheureuse qu’ailleurs, et il est de règle de s’apitoyer beaucoup sur son sort. On nous répète cette phrase où Tite-Live fait dire à Caton : « Nos aïeux ont défendu à la femme de s’occuper même d’une affaire privée sans avoir quelqu’un qui l’assiste ; ils ont voulu qu’elle fût toujours sous la main de son père, de ses frères ou de son mari. » On rappelle les injures dont elles étaient ordinairement accablées, non-seulement au théâtre, où l’auteur exagère pour amuser, mais à la tribune, où des gens graves les appelaient des animaux ingouvernables, et où un censeur, pour engager les citoyens à se marier, leur disait : « Si l’on pouvait vivre sans femmes, nous nous priverions tous de cet embarras ; omnes ea molestia careremus. » On en conclut naturellement que les actions devaient répondre aux paroles, que ces invectives montrent le peu de cas qu’on faisait d’elles, et que leur condition ne pouvait pas être bonne chez un peuple qui avait ainsi l’habitude de les injurier. Ce n’est pas l’opinion de M. Gide, et il montre par plusieurs exemples que les femmes peuvent être à la fois très honorées et très asservies. Il est certain que l’Orient est un des pays où on les traite avec le plus d’égards et de respect ; mais ce sont des égards protecteurs. L’homme les regarde comme des êtres délicats et faibles, auxquels il se sent supérieur et qu’il ménage par générosité. Les poètes les chantent avec passion, comme toutes les choses qui embellissent la vie, comme les oiseaux et comme les fleurs, auxquels ils les comparent volontiers ; mais, comme les fleurs et les oiseaux, on les tient en cage ou en serre. La brutalité du paysan romain vaut mieux. A tout prendre, elle est un hommage à la puissance des femmes. S’il les traite mal, c’est qu’il les craint, c’est qu’il a peur de n’être pas le maître chez lui. La vivacité des attaques révèle une lutte, et une lutte suppose des adversaires qui ont à peu près des forces égales.

M. Gide établit son opinion sur une étude approfondie des lois romaines. Il étudie de près les institutions qui semblent le plus contraires à la femme ; il les explique, il en fait voir la signification et les conséquences, et il montre qu’elles pesaient moins lourdement sur elle que nous ne sommes tentés de le croire. Cette tutelle dont elle ne s’affranchissait jamais n’était pas établie, comme on l’a dit, pour subvenir à sa faiblesse, à son infirmité naturelles, propter infirmitatem consilii, mais dans