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ternelle. Il avait après tout atteint son but : il tenait enfin le port de Kiel. Les confidences de l’année précédente et les grands mots lancés encore tout dernièrement à M. de Gramont ou au baron de Pfordten n’avaient été que d’adroites manœuvres pour emporter la place sur le confrère et « co-possesseur. » Ce que l’on comprenait moins, c’est que l’empereur François-Joseph eût si vite plié devant les injonctions du rival, qu’il eût fait un abandon si complet de sa dignité, d’un intérêt politique de premier ordre et des droits si souvent proclamés du Bund, — tant on était loin alors de se douter des embarras intérieurs et immenses de l’empire des Habsbourg, de son désarroi, de sa faiblesse presque irrémédiable! On ne trouvait qu’une seule explication à un événement si étrange qui dépassait toutes les prévisions et déjouait tous les calculs : l’empereur François-Joseph, se disait-on, n’a pu concéder au roi Guillaume Ier des avantages aussi importans que contre des promesses et des combinaisons non moins importantes, et qui ne tarderont point à se révéler; l’accord entre les deux souverains n’a dû se faire qu’aux dépens de quelque tiers. C’est là du reste, observait-on finement, l’éternelle histoire de l’Autriche dans ses rapports avec la Prusse. La cour de Vienne, malgré son renom plus ou moins justifié d’honnêteté et de dignité, ne s’est cependant jamais refusée aux complicités que lui offrait la cour de Berlin toutes les fois qu’il y avait quelque mauvais coup à faire, sauf à l’Autriche, il est vrai, de prendre après des airs de pudeur, de regret, presque de remords, et de finir en effet par payer les frais de l’iniquité commise. C’est ce qui arriva lors du partage de la Pologne, lors de la guerre de la succession de Bavière, et tout dernièrement encore à l’occasion de la guerre des duchés. M. de Bismarck aurait-il proposé et fait accepter à Gastein quelque partage de l’Allemagne? ou bien s’y serait-il engagé à prêter son secours contre l’Italie, ainsi qu’il l’avait déjà promis une première fois dans les commencemens de 1864 ? La convention du 14 août doit dans tous les cas renfermer quelque article secret, quelque stipulation avantageuse pour l’Autriche, dangereuse pour les idées ou les intérêts de l’Occident, et qui ne peut pas manquer de se produire à un jour donné.

« Les liens qui unissent maintenant les cours de Pétersbourg, de Berlin et de Vienne, — ainsi s’exprimait alors un observateur d’une autorité grande et méritée, — n’ont plus besoin d’être dévoilés; ils apparaissent dans les faits et dans la nécessité des choses. Le vieux faisceau est reformé, la convention de Gastein le serre d’un nouveau nœud. » Cette opinion fut assez générale à Paris et à Londres[1],

  1. Encore vers la fin de septembre, un écrit inspiré par l’ambassade de Prusse à Paris crut devoir combattre l’idée « de la prétendue existence d’articles secrets » dans le traité du 14 août. Voyez page 23 de la brochure : la Convention de Gastein, Paris, Dentu, 1865.