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pour défriser les perruques à marteaux qui peuplaient la cour du successeur peu philosophique de Frédéric II. Quant à lui, le ministre, il était toujours le même, le politique aux vues larges et élevées, l’homme sans préjugés, l’homme de l’avenir, qui sait? peut-être bien ce « troisième homme » dont un personnage auguste avait entretenu un jour M. de Cavour à Plombières, en le proclamant « capable de grandes choses » et en taisant son nom... Le 6 octobre 1865, le président du conseil de Prusse arrivait à Biarritz.

L’esprit humain n’est que trop enclin à procéder en tout par analogie et à voir l’identique là où au fond il n’y a que le semblable. « Notre savoir n’est que fragment, » s’écrie Faust après l’Ecclésiaste : le connu est pour nous la seule mesure de l’inconnu, et, malgré le sage avertissement du proverbe, ce n’est souvent que dans la comparaison que nous nous obstinons à chercher la raison de certaines choses. C’est ainsi qu’en France du moins l’opinion presque générale ne cesse de comparer le Biarritz de 1865 au Plombières de 1858, de rapprocher ces deux entrevues, de les identifier en quelque sorte, et de puiser dans ce rapprochement un sujet de griefs contre le ministre prussien. M. de Bismarck n’aurait pas eu la loyauté du comte Cavour, il n’aurait point tenu certaines promesses !... Les traits de parenté ne manquent point en effet à ces rencontres de 1858 et 1865; toutes les deux ont été suivies d’événemens graves, extraordinaires; toutes les deux ont donné le branle au monde, et l’unité allemande datera dans l’histoire aussi incontestablement de la baie pyrénéenne que l’unité italienne de la ville thermale au pied des Vosges. S’ensuit-il cependant que les pourparlers de 1865 aient ressemblé en tout point à ceux de 1858? s’ensuit-il que Biarritz ait été le témoin de stipulations aussi précises, aussi formelles que le furent un jour celles de Plombières, et, pour le dire crûment, que M. de Bismarck ait offert des compensations éventuelles du côté du Rhin exactement comme le fit jadis M. de Cavour du côté des Alpes? En Allemagne, ce fait a toujours été péremptoirement nié; on y a de tout temps contesté jusqu’à l’existence même de promesses quelconques de la part du ministre prussien. Il n’y aurait eu à Biarritz ni plan arrêté ni engagement pris d’avance : tout s’y serait borné à un échange d’idées qui n’obligeait ni l’une ni l’autre des parties. Certes il peut paraître aussi oiseux que puéril de vouloir redemander aux vents de l’Atlantique les paroles échangées, il y a trois ans, sur une plage à jamais célèbre; mais le vraisemblable est tout aussi bien que le vrai du domaine de l’historien, et il doit être permis de chercher dans les circonstances contemporaines, dans les idées ambiantes et les documens de seconde main, l’expli-