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point bien établi, les négociateurs transalpins firent observer qu’un pareil engagement ne pouvait être nécessairement pris qu’à terme, que l’obligation pour l’Italie de prêter son concours à la Prusse pour le cas où il plairait à cette dernière de déclarer la guerre à l’Autriche ne saurait durer que pendant un temps bien défini, trois mois par exemple; si donc d’ici à trois mois la Prusse n’avait pas encore commencé les hostilités, le traité d’alliance offensive et défensive serait censé expiré, et l’Italie reprendrait sa liberté d’action. — Parfaitement, répliqua le président du conseil de Berlin; mais pourquoi nommez-vous notre « accord éventuel » un traité d’alliance offensive et défensive? Appelons-le plutôt un traité d’alliance et d’amitié pour rester dans le vrai; ce nom est plus conforme à la réalité des choses. Les Italiens ne furent pas de cet avis, l’amitié ne leur suffisait pas; ils tenaient à leur appellation plus «concrète. » — Soit, finit par reconnaître encore M. de Bismarck; ce n’est là au fond qu’une chicane de nom, de titre; va pour le titre : nous mettrons donc, si vous le voulez bien, en tête de notre « accord éventuel » les mots de traité d’alliance offensive et défensive. — On aborda ensuite la question d’argent, et le représentant de la Prusse, puissance ordinairement si parcimonieuse, se montra dans la circonstance d’une facilité très grande. « Tirez des boulets sur Vienne et des billets sur Berlin, » aurait-il dit en plaisantant. Les finances italiennes étant bien épuisées, on stipula un fort subside (120 millions, à ce qu’on assure) comme premiers frais d’installation du roi Victor-Emmanuel dans la province vénitienne. — La « forme concrète à un accord éventuel » ainsi heureusement trouvée, le général Govone jugea utile de rappeler qu’il portait aussi des épaulettes, que c’est en sa qualité « d’homme versé dans l’art militaire » qu’il avait été envoyé de Florence sur une invitation directe partie en ce sens de Berlin, et il demanda s’il ne serait pas désirable de convenir également des choses militaires comme on était convenu des choses politiques, d’établir en commun un plan de campagne, d’échanger du moins à cet égard quelques idées bien nettes. À cette proposition, très naturelle du reste, on fit la sourde oreille-La guerre était encore dans une perspective trop lointaine, trop vague, pour qu’il y eût urgence d’aborder un pareil thème; lorsque le moment opportun sera venu, on y avisera, on enverra même le général Moltke à Florence pour se concerter avec M. La Marmora; en attendant, ce serait perdre inutilement son temps dans une discussion oiseuse. M. Govone eut beau insister; ni alors, ni plus tard (il ne quitta Berlin qu’au mois de juin), il ne put vaincre à ce sujet la réserve des Prussiens. La confiance que portait le vieux Guillaume à son bon frère et bon ami le roi galant homme n’allait pas jusqu’à lui livrer le secret du général Moltke.