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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/557

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une conférence qui n’avait point abouti, l’empereur Napoléon III traçait évidemment dans cette lettre le programme qu’il était sûr de faire triompher dans un avenir très prochain : réunion de Venise à l’Italie, « grande position » de l’Autriche en Allemagne, une Prusse « homogène et forte au nord, » une « organisation plus puissante » donnée aux états secondaires du Bund, le tout couronné par un « désintéressement » louable de l’auguste écrivain et chef d’état. Le premier fait, « le fait important, » était déjà même acquis à ce moment ; pour ce qui restait encore à accomplir, on se liait à la valeur éprouvée des kaiserliks et à la force morale de la France. « Restons donc dans une neutralité attentive, et forts de notre désintéressement, animés du désir sincère de voir les peuples de l’Europe oublier leurs querelles et s’unir dans un but de civilisation, de liberté et de progrès, demeurons confians dans notre droit et calmes dans notre force... »

M. de Bismarck eut-il connaissance de ces transactions secrètes entre les deux cabinets de Paris et de Vienne, ou bien cet instinct du génie que le sage de la Grèce appelait le « démon » lui fit-il vaguement comprendre que l’heure venait de sonner? Toujours est-il que dès la seconde semaine du mois de juin le ministre du roi Guillaume se redressa dans toute sa vigueur et dans sa rare activité. Le 27 mai, il avait encore envoyé à la diète fédérale des propositions qu’il appelait « modérées, » et qui l’étaient relativement en effet; le 8 juin même, il paraissait encore flottant dans une audience d’adieu accordée au général Govone, et il insinuait alors de nouveau que l’Italie devait brusquer la situation en attaquant la première; deux jours après, sa résolution était prise, et il lâcha tous les ressorts. Du 10 jusqu’au 19 juin, les Prussiens occupèrent successivement le Holstein, la Hesse, le Hanovre et la Saxe. En même temps une dépêche circulaire du gouvernement de Prusse aux états allemands prononçait l’expulsion de l’Autriche de la confédération germanique projetée pour l’avenir. C’était là une prétention que M. de Bismarck n’avait jusque-là jamais fait soupçonner, c’était là sa réponse indirecte au programme français qui maintenait à la maison de Habsbourg sa grande position en Allemagne. Des ordres partirent le ik et le 18 juin pour armer en toute hâte Coblenz et Sarrelouis; enfin il n’est pas jusqu’à cette future question du Luxembourg dont le président du conseil de Berlin n’ait posé dès lors les premiers jalons par une dépêche adressée au gouvernement de la Haye qui affirmait le droit de la Prusse de conserver sa garnison dans la forteresse fédérale du roi de Hollande. Cet homme universel pensait à tout.

Il pensa aussi à l’Italie. Au-delà des Alpes, les armemens avaient continué avec vigueur, et dès le 6 mai, le jour même où fut pro-