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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/559

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opération de l’Italie aura fait plus de mal que de bien à la Prusse. Pour s’assurer la possession durable de la Vénétie, il faut d’abord frapper au cœur la puissance ennemie, et il existe un moyen infaillible pour cela : la Hongrie. Que les Italiens dirigent sur la côte orientale de l’Adriatique une forte expédition sous les ordres de Garibaldi. D’après tous les renseignemens parvenus au gouvernement prussien, cette expédition trouvera parmi les Slaves et les Hongrois une réception des plus cordiales; les régimens croates et magyars refuseront de se battre contre Garibaldi. La Prusse de son côté fera pénétrer en Hongrie, du nord et des confins de la Silésie, un corps volant composé autant que possible d’élémens indigènes, et qui rejoindra les troupes italiennes et les forces nationales qui n’auront pas tardé à se former dans ce pays. Nous frapperons ainsi l’Autriche non pas à ses extrémités, mais au cœur... »

On se gardera bien ici d’apprécier le plan de M. d’Usedom selon les principes de la science militaire; au point de vue politique, le but était évident. M. de Bismarck se méfiait du cabinet de Florence et d’une guerre de siège sur le Pô, qui n’eût point empêché les parties de s’entendre entre elles tout en se livrant de temps en temps des combats pour ménager les apparences et avoir « l’honneur sauf. » Il tenait à compromettre les Italiens dans une guerre à fond, dussent-ils finir par ne revoir jamais le quadrilatère après l’avoir « tourné... » On sait du reste comment M. La Marmora accueillit ce romantique plan de campagne : il le mit simplement dans sa poche. Correct comme général aussi bien que comme diplomate, il alla se faire battre à Custoza selon les règles classiques de son art.

Les diplomates avaient amené la guerre: c’était maintenant aux généraux d’amener la paix... Arrêtons-nous ici un moment, et jetons un dernier regard sur le grand échiquier où vont se jouer les destinées des peuples. Prenons tel jour, le 23 juin par exemple, et contemplons d’abord ces champs de la Lombardie et ces défilés de la Bohême au-dessus desquels plane déjà le génie de la mort. Dans la vallée du Pô, l’archiduc Albert a reçu le cartel du roi galant homme et s’avance à sa rencontre; en Bohême, le feld-zeugmeister Benedeck masse ses troupes autour de ses forteresses pour recevoir les deux princes de Prusse. Plus loin, au fond, dans une capitale célèbre qui se flatte d’imposer à l’Europe aussi bien ses révolutions que ses modes, le souverain d’une grande nation attend dans une neutralité attentive le moment opportun pour paraître en juge du camp et en restaurateur du droit. Le lendemain, le signal part, et en Lombardie les deux adversaires croisent le fer à Custoza. L’archiduc Albert se serait peut-être contenté