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ter avec les Anglais, avec les Prussiens, avec les Belges, que, s’il ne se contente pas de ce qu’on lui donne, les produits étrangers envahiront les marchés français, et que le peu qu’il gagne sera ainsi compromis par la ruine de son atelier. De là chez lui une tendance instinctive à rabaisser cette industrie étrangère qu’on lui présente comme un épouvantail. Atténuer la valeur des produits étrangers, c’est en quelque sorte émousser l’arme dont les patrons se servent constamment. Chez les délégués les plus scrupuleux, on trouve au moins une certaine froideur à l’égard des nations dont les industries rivalisent avec les nôtres. Le salaire élevé des ouvriers anglais excite une jalousie qui se traduit quelquefois par des traits amers. Ainsi on accuse quelque part certains envoyés des corporations anglaises d’avoir fait argent, à leur retour dans leur pays, de procédés industriels dont le secret leur avait été gratuitement livré en raison de leur délégation. L’industrie anglaise s’est-elle perfectionnée depuis 1862 ? Les délégués n’hésitent guère à répondre que non, et ce jugement procède évidemment d’un parti-pris. Il est un point cependant sur lequel ils n’ont pas tout à fait tort. L’Angleterre a fait peu de progrès depuis 1862 dans les industries qui relèvent du goût et des arts du dessin; mais il faut dire qu’elle avait réalisé sous ce rapport des améliorations considérables de 1851 à 1862. On se rappelle qu’à la suite de l’exposition de 1851 les Anglais jetèrent un cri d’alarme en reconnaissant eux-mêmes leur infériorité dans ce qu’on peut appeler l’art industriel. Ils résolurent aussitôt de réformer le goût de leurs ouvriers en établissant sur une grande échelle l’enseignement du dessin. L’urgence de cette mesure parut telle que le gouvernement en prit l’initiative, contrairement aux habitudes anglaises. Il ouvrit dans un grand nombre de villes des écoles spéciales de dessin industriel. On vit en 1855 et en 1862 les heureux effets de ces fondations. Si maintenant, après une ère d’amélioration rapide, on constate comme un temps d’arrêt, c’est qu’on ne peut pas toujours courir sur la voie du progrès, et qu’après une forte étape on ralentit le pas.

Nous ne pouvons suivre nos auteurs à travers l’infinie variété des détails qu’ils passent en revue et rechercher tous les procédés qu’ils critiquent ou qu’ils recommandent. Nous le pouvons d’autant moins qu’ils s’adressent surtout à des personnes familiarisées avec la pratique de chaque métier; ils se préoccupent peu de définir les termes dont ils se servent et d’expliquer les méthodes dont ils parlent; leur œuvre ne peut donc être consultée avec fruit que par ceux qui connaissent les particularités de chaque profession. La collection des rapports montre cependant à certains égards les impressions générales qu’ont éprouvées les délégués.