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tous les enfans employés par l’industrie, tandis que les règlemens actuels ne sont applicables, — nous ne disons pas appliqués, — qu’aux grandes manufactures et aux ateliers où travaillent plus de vingt ouvriers[1]. Mais, plus encore que sur la loi, il faut compter sur le mouvement de l’opinion. Elle est éveillée sur cette question ; elle encourage les industriels qui veillent à la santé et à l’instruction des apprentis ; elle flétrit ceux qui négligent ce soin sacré et qui fauchent ainsi en herbe le bien de l’humanité.

Le travail des enfans nous mène naturellement à parler de l’instruction. Là-dessus encore les délégués n’ont qu’une voix ; ils sentent trop bien ce qui manque même aux plus instruits d’entre eux, ils voient trop bien ce qui fait défaut à la plupart de leurs camarades. Ils demandent tous l’instruction gratuite et obligatoire ; ils demandent un enseignement technique, des cours professionnels. Sur la question de la gratuité, il n’y a pas de discussion possible, puisque les délégués n’ont pas à se préoccuper des voies et moyens. Ils désirent naturellement qu’on l’organise sur la plus vaste échelle, et il faut dire que sous ce rapport on leur a donné un commencement de satisfaction. La loi de 1833 sur l’instruction primaire se prêtait à des développemens qu’elle a reçus récemment, et une loi nouvelle, du 10 avril 1867, a organisé l’instruction des filles, dont on ne s’était guère occupé jusqu’alors. A Paris, on peut dire que la gratuité sera bientôt à peu près complète. Quant à l’obligation, c’est une grosse affaire et une question fort controversée : ceux qui s’attachent surtout aux principes y voient une fâcheuse atteinte à la liberté civile ; ceux que le résultat touche principalement répondent qu’on peut bien prendre les enfans pour l’école, puisqu’on prend sans scrupule les hommes pour la caserne. D’après les indications que nous venons de donner, la loi sur le travail des manufactures obligerait indirectement un grand nombre d’enfans à fréquenter les écoles ; l’obligation, au lieu de tomber sur les parens, tomberait ainsi sur les patrons. Cette solution n’atteint, il est vrai, ni les campagnes ni les villes dépourvues d’industrie. Laissons d’ailleurs cette question d’obligation, pour laquelle nous ne nous sentons pas une

  1. Nous aurons ainsi à peu près le régime anglais. Les enfans employés dans les manufactures anglaises ne peuvent travailler que six heures et demie par jour, et le samedi deux heures de moins. Ils doivent fréquenter l’école trois heures par jour, excepté le samedi. Le patron doit chaque semaine se munir du certificat d’assiduité délivré pour chaque enfant par l’instituteur ; ce certificat doit être représenté à toute réquisition de l’inspecteur ou du sous-inspecteur du district. Les amendes, en cas de négligence ou de contravention, sont très fortes et très strictement recouvrées. Les industriels anglais se louent d’ailleurs de ce régime. Ils en proclament l’utilité au point de vue de la production immédiate que l’on demande aux enfans ; leur travail, fait avec plus d’intelligence, de force et d’activité, est plus rémunérateur.