Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/632

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

apparition en Europe des étoffes de soie. On n’avait jamais rien vu qui en approchât. L’usage s’en propagea très vite dans les classes riches. On les employa pour vêtemens, pour tentures ; elles devinrent, parmi tous les objets de luxe, un des plus admirés et des plus recherchés. Cependant on ignorait et la matière dont elles étaient faites, et le lieu d’où elles venaient. Les anciens auteurs grecs et latins ne nous ont transmis à cet égard que des traditions vagues, entremêlées de beaucoup d’erreurs. Les livres chinois nous permettent aujourd’hui de savoir mieux qu’ils ne le savaient eux-mêmes d’où leur venait cette marchandise précieuse. Le Chouking, un des ouvrages les plus considérables que nous connaissions de la littérature du Céleste-Empire, nous apprend que c’est à la Chine que l’Europe est redevable de la sériciculture comme de tant d’autres industries agricoles et manufacturières. L’impératrice Si-lin-Ki, paraît-il, aurait trouvé, 2600 ans avant notre ère, le moyen, encore employé de nos jours, de dévider les cocons en les plongeant dans l’eau chaude. Le rang de l’inventeur, on le devine, porta bonheur à la découverte. Les dames de la cour de Pékin ne tardèrent point à se livrer avec un zèle des plus fervens à l’élevage de l’insecte auquel s’intéressait la souveraine. Les impératrices qui succédèrent à Si-lin-Ki ne se montrèrent pas moins favorables à la sériciculture. On cite, deux siècles et demi plus tard, la femme de l’empereur Ya-Ho parmi celles qui ont le plus fait pour encourager les éleveurs de vers à soie. Il est curieux de constater quelle part eurent les femmes dans les progrès de cette industrie, qui leur importait d’ailleurs plus qu’à personne. Sous des impulsions venues de si haut, elle ne pouvait manquer de se répandre et de se perfectionner. Elle devint bientôt un des élémens de la richesse du pays. Les classes laborieuses se jetèrent avec ardeur dans cette nouvelle voie ouverte à leur activité ; en même temps les délicates opérations de l’élevage des bombyx et du dévidage des cocons restaient une des occupations à la mode pour les femmes de haute condition. La Chine se mit dès lors à exporter en Asie des quantités considérables de soie ; mais, voulant s’assurer le monopole de cette production lucrative, elle fit les plus grands efforts pour tenir ses procédés secrets, et même pour égarer par des indications trompeuses ceux qui auraient pu être tentés de marcher sur ses traces. Toute révélation des méthodes de fabrication chinoise aux nations étrangères fut défendue sous peine de mort. Ces menaces rigoureuses n’empêchèrent pas l’élevage des vers à soie et le tissage des fils qu’ils fournissent de se répandre dans toute l’Asie. C’est de là que venaient ces tissus qui, sous Alexandre, se payaient en Grèce au poids de l’or, tissus si fins qu’ils laissaient