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élaborent des sécrétions, dans les organes des sens ils apportent au cerveau des impressions. Ces impressions doivent servir de lien entre le monde externe et le monde interne, entre le non-moi et le moi; mais les nerfs, en serviteurs trop obéissans et sans intelligence, transmettent au cerveau sous la même forme les excitations les plus diverses auxquelles ils sont soumis. Ainsi le nerf optique ne peut y envoyer que des impressions lumineuses; les irritations dues à des causes accidentelles, à un choc, à un coup, à une congestion morbide, se traduisent encore dans le cerveau par des images. Frappez légèrement le globe de l’œil, et vous verrez apparaître les éclairs lumineux dits phosphènes. La fièvre, les narcotiques, l’extrême fatigue, produisent des hallucinations d’une effrayante netteté. Le cerveau peut projeter au dehors les images, les couleurs, les formes engendrées dans ses ténébreuses profondeurs. Les tableaux qui se peignent sur la rétine ne sont pas toujours les images du monde externe. Cette infirmité du nerf optique, qui n’est qu’un caractère général de tout le système nerveux, ne nous tient pas heureusement dans une illusion perpétuelle : la rétine, bien protégée contre les pressions et les accidens, est généralement préservée de toute irritation accidentelle et ne reçoit que les chatouillemens légers de la lumière.

La fonction normale des yeux est de reconnaître les corps à la couleur et à la forme. A l’aide des couleurs, nous traçons des séparations à la surface de l’image, puis nous plongeons en quelque sorte sous cette surface pour saisir les formes, les espacemens, les distances. Il n’y a rien qui nous soit plus familier que l’idée de couleur, et pourtant il n’est pas facile de définir cette qualité des corps. Quand nous disons qu’une orange est jaune, cela veut dire que l’orange produit sur notre vue l’impression particulière du jaune. Sans doute cette impression se lie à un état moléculaire de la substance de l’orange : les rayons de lumière blanche réfléchis à la surface ont un mouvement vibratoire déterminé, mais ce mouvement ne devient couleur que dans notre œil. La couleur est donc chose en partie subjective, puisqu’elle est une transformation de mouvement opérée par notre sens visuel, en partie objective, parce que ce mouvement dépend d’un état matériel externe. C’est ici que va se révéler une imperfection de nos sens. La lumière solaire, on le sait, est décomposée par un prisme de verre en une multitude de rayons; un faisceau coloré s’y subdivise de même en couleurs élémentaires. Or la rétine ne jouit point de cette faculté, elle n’est pas un instrument d’analyse, elle reçoit des mélanges de couleurs sans pouvoir en discerner les élémens. En ce point, elle diffère du nerf acoustique, qui décompose au contraire les sons et en isole