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Darmstadt et quelques détachemens badois. Il les attaqua malgré leur supériorité numérique; après une lutte violente, les fédéraux durent se retirer, laissant ainsi les Prussiens maîtres du passage, du pont sur le Mein et du chemin de fer. Le prince Alexandre de Hesse, qui se trouvait à 2 milles de là, ne fit aucun effort pour reprendre Aschaffenbourg; au contraire il rallia toutes ses troupes, et, abandonnant Francfort, se replia avec toute son armée au sud, sur l’Odenwald. Falkenstein n’était point assez fort pour le poursuivre. Il attendit à Aschaffenbourg l’arrivée de Manteuffel, et le 16, lorsque son armée fut de nouveau réunie, il se dirigea sur Hanau à la tête de la division Gœben, fit une partie de la route en chemin de fer, et le soir même entra en vainqueur dans Francfort. Il prit au nom du roi de Prusse possession de la ville, ainsi que du Nassau, de la Hesse supérieure et de tout le pays que lui livrait la retraite du 8e corps. Les derniers représentans de la diète avaient quitté Francfort depuis deux jours; ils étaient partis pour Augsbourg le 14, c’est-à-dire un mois juste après le fameux vote de mobilisation qui avait entraîné la déclaration de guerre. Les Prussiens trouvèrent une population stupéfaite de leurs succès, terrifiée d’être en leurs mains. Francfort avait été longtemps le foyer de l’agitation anti-prussienne ; elle pouvait se croire l’objet d’une animadversion particulière de la part du tout-puissant ministre du roi Guillaume. Elle redoutait des représailles. Les fastueux banquiers de Francfort s’étaient souvent moqués des « hobereaux du nord, » aussi orgueilleux que pauvres, devenus en quelques jours leurs vainqueurs. Après de longues marches au milieu de privations pénibles, l’armée ennemie se trouvait maîtresse de cette ville de commerce opulent et de bourgeoisie hautaine. Il n’y eut point de pillage, mais il y eut de l’abus dans les exigences et de l’excès dans l’arrogance avec laquelle on les exerça. Ce que l’on vient de dire explique peut-être, mais n’excuse nullement la conduite impolitique des Prussiens à Francfort; elle fut réprouvée dans toute l’Europe et en Prusse plus énergiquement que nulle part. Il faut ajouter qu’elle constitue un fait isolé dans cette guerre[1]. On serait tenté

  1. Dans les pays occupés, les Prussiens prirent le pouvoir et l’exercèrent avec une rigueur un peu hautaine, mais sans violence. Les populations les reçurent avec une résignation mêlée de quelque effroi. On les rassura, mais on ne fit rien pour se les concilier. On se préoccupa surtout de faire vivre l’armée, et le mieux possible, aux dépens de l’ennemi; on apportait à ce soin la discipline raide et l’économie rigide qui sont le propre des administrations prussiennes. En Bohême, l’armée se montra modérée, bien que la conduite des habitans motivât relativement certaines représailles. Les Tchèques recevaient les Prussiens en race ennemie; ils s’enfuyaient devant eux avec leurs troupeaux, ravageant le pays, empoisonnant parfois les sources, attaquant les détachemens isolés. Les réquisitions étaient pénibles, les convois n’avançaient que difficilement; l’armée souffrit beaucoup. A Munchengrætz, elle trouva la ville déserte. Ailleurs on s’était fortifié dans les maisons, et il fallut livrer de sanglans combats de rue, entre autres à Trautenau, à Turnau et à Nachod.