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mentidéaliste et spiritualiste. En s’inoculant cette tradition par le travail des pères et des docteurs des premiers siècles de l’église, le christianisme l’a couverte de son autorité surnaturelle et enveloppée dans les mystères de son symbole, de façon pourtant à lui laisser ses hautes et profondes clartés. Aussi toute la grande famille des esprits métaphysiques qui se sont rencontrés parmi les théologiens, les écrivains, les croyans de la religion chrétienne, s’est-elle éprise de ce côté de la doctrine au point d’y voir le fond et l’essence même du christianisme. C’est ainsi qu’à la suite des docteurs platoniciens ou néoplatoniciens, tels que saint Clément, Origène, Grégoire de Nysse, saint Augustin, de grands théologiens du moyen âge, comme saint Anselme et Abélard, ou des temps modernes, comme Malebranche, le père André, Fénelon, Bossuet lui-même, ont fait prédominer, sans oublier le reste, la pensée idéaliste et spiritualiste qui a son principe dans la doctrine de Platon. C’est encore ainsi qu’une école de théologiens protestans comme Schleiermacher, qui se disent et qui sont réellement chrétiens, et qu’une autre école de docteurs catholiques disciples de Schelling font surtout de cette pensée le texte de leurs commentaires et de leurs interprétations de la doctrine orthodoxe. C’est ainsi également que des écrivains français, chrétiens et même catholiques à l’origine, comme Bordas-Dumoulin, Huet et l’illustre auteur de l’Essai sur l’indifférence, ont compris, médité, défendu le christianisme en se plaçant au foyer des idées platoniciennes[1]. Si tout ce travail métaphysique n’a point abouti à fonder une véritable secte dans le sein des églises chrétiennes ou catholiques, il y a créé une grande école dont le caractère propre est de résumer le christianisme dans un idéalisme et un spiritualisme qui remontent à Platon. Et en ce moment même, où le salut des croyances spiritualistes réunit certains philosophes et certains théologiens dans une alliance plus ou moins intime, le trait d’union est visiblement le platonisme commun aux deux doctrines. C’est par là que le théologien se sent attiré vers la philosophie et que le philosophe devient sympathique à la théologie en dépit de tant d’incompatibilités radicales. En réalité, théologiens et philosophes forment une même famille d’esprits qui se retrouvent dans l’unité de la tradition platonicienne après une séparation dont l’histoire est l’origine. Tel est ce christianisme philosophique que l’église catholique n’a jamais vu de très bon œil, à Rome surtout, où l’on se défie singulièrement de tout ce qui a un air de philosophie.

  1. L’Esquisse d’une philosophie, le dernier livre publié par M. de Lamennais, a été l’œuvre de toute sa vie de penseur; c’est au fond un mélange de christianisme et de platonisme avec certaines idées de la science moderne.