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peut la conserver et la rendre indéfiniment progressive[1]. » Assurément tous ces caractères pourraient être contestés au nom d’une philosophie plus profonde et d’une science historique plus rigoureuse, mais on ne peut nier que ce langage et cette méthode ne soient d’un savant. Quand on applique ainsi aux questions religieuses et théologiques les procédés de la science moderne, il est bien difficile qu’on ne soit pas conduit souvent à des conclusions qui dépassent ou corrigent la doctrine orthodoxe. C’est ce qui est arrivé à Buchez, dont la théologie serait sujette en plusieurs points aux rigueurs de l’Index.

Au fond, ce qui attirait cet esprit essentiellement pratique vers les doctrines du christianisme, c’est l’affinité de quelques-unes de ces doctrines avec les idées et les tendances de la démocratie moderne. Buchez l’exagère visiblement, lorsqu’il voit dans le sacrement du baptême la négation du droit ancien du père sur les enfans, ainsi que l’affirmation de l’égalité entre tous les membres de la famille humaine, quand il voit dans la communion eucharistique la confirmation de cette égalité, quand il voit enfin dans le sacrement du mariage l’institution des droits égaux entre l’homme et la femme. Ces vues manquent d’exactitude, sinon de vérité. Le christianisme est une doctrine morale qui a surtout en vue la vie spirituelle, et le mot du Christ : mon royaume n’est pas de ce monde, demeure encore, quoi qu’on ait dit, l’expression de son intime pensée, en sorte qu’une âme vraiment chrétienne peut rester étrangère aux sentimens et aux intérêts de la vie politique. D’autre part, l’égalité chrétienne, c’est l’égalité des âmes dans la cité de Dieu, ce qui explique comment l’église et la théologie ont, sinon sanctionné, du moins toléré l’esclavage comme une institution humaine avec laquelle la loi de Dieu n’avait rien à voir; mais, comme tout se tient dans la nature humaine par les liens les plus étroits, morale et politique, justice et charité, égalité des chrétiens et égalité des citoyens, il s’ensuit que les sentimens de la cité de Dieu devaient tôt ou tard passer dans les institutions qui régissent la cité des hommes, et qu’une école de démocrates catholiques telle que celle de Buchez pouvait retrouver dans la tradition religieuse les principes de ses théories démocratiques et sociales.

L’église et la théologie orthodoxe pouvaient suivre jusque-là l’école néo-catholique. Ce n’est pas dans le dogme que Buchez et ses disciples ont montré une véritable hardiesse de novateurs, c’est dans l’histoire. Faire accepter au nom d’un principe commun l’alliance du catholicisme et de la révolution, c’était une idée à laquelle

  1. Traité de philosophie, t. III, p. 488.