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tenant nous occuper. Né en 1802, doué d’une intelligence très vive et très précoce, Jacob van Lennep put profiter des conversations de son grand-père et de plusieurs contemporains qui lui communiquèrent toutes vivantes encore les traditions de la vieille Hollande. Son adolescence fut témoin des malheurs et de l’humiliation de sa patrie, mais aussi de son réveil. Son grand-père et son père étaient, à divers titres, des hommes fort instruits, très amateurs des lettres, et le bon sang qui coulait dans ses veines eût menti, si le jeune homme ne se fût pas porté du même côté avec l’ardeur qui ne cessa jusqu’à la fin de caractériser ses entreprises. Je pense toutefois qu’à côté de qualités très hollandaises de pénétration et de persévérance il y avait en lui quelques germes venus d’ailleurs et qui firent bon mélange. Il nous parle beaucoup, dans ses biographies paternelles, et avec un respectueux attachement, d’une demoiselle Wægeli, fille d’un officier suisse au service des états, ancienne gouvernante de ses tantes et qui était déjà d’un certain âge quand il put jouir de sa conversation. A en juger par les lettres qu’il a citées d’elle, ce devait être une personne fort remarquable par l’esprit et le caractère. Elle aussi avait à lui raconter je ne sais combien d’histoires du bon vieux temps, et les racontait, paraît-il, fort bien. C’est elle que, dans l’introduction d’un de ses meilleurs romans, Ferdinand Huyck, van Lennep a décrite sous les aimables traits de la vieille demoiselle Stœuffacher, la spirituelle conteuse avec laquelle il est si bon de venir, dans son petit salon, déguster tout en devisant une tasse d’excellent café. Il est de fait que souvent, par la vivacité de ses saillies, par quelque chose de malicieux et même parfois d’étourdi, van Lennep s’écarte du type hollandais, auquel du reste il demeure ordinairement conforme. Il y a chez lui du XVIIIe siècle et même du Voltaire, auquel il ressemblait de loin dans les dernières années de sa vie. Je me hâte pourtant d’ajouter que la piété héréditaire dans sa famille, l’influence du romantisme de Bilderdyk, dont pendant quelque temps il épousa avec chaleur les idées et les paradoxes, doivent limiter fortement cette appréciation, que sous ces réserves je crois fondée. Ce trait, plus gaulois que germanique, se rencontre souvent dans ses romans et dans plus d’une repartie. Nous tenons de lui-même que, devant être baptisé dans l’église wallonne d’Amsterdam et présenté sous le nom de Jacobus (Jacques) au pasteur officiant, celui-ci, habitué aux prénoms français, pensa que ses parens voulaient lui donner le nom de Jacob, et le baptisa sous ce nom patriarcal. La famille crut devoir lui conserver le nom consacré par la sainte cérémonie. « Après tout, dit-il en racontant cet incident, le brave pasteur prévit sans doute que j’étais plutôt destiné au patriarchat qu’à l’apo-