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oublier les défauts du genre. On peut déjà signaler un des grands mérites de van Lennep. Les personnages sont nombreux dans ses romans, et cela en complique naturellement la marche; mais ils sont toujours si nettement dessinés, chacun se détache si fortement de l’ensemble, qu’on n’éprouve pas la moindre peine à les distinguer les uns des autres, et leurs agissemens s’entre-croisent sans jamais se confondre. Cependant, si l’œuvre de van Lennep en fût restée là, son originalité eût été médiocre. Nous devrions le classer parmi les romanciers historiques de talent, émules plus ou moins heureux de Walter Scott et par conséquent destinés à baisser dans l’estime littéraire avec le genre nécessairement défectueux qu’ils ont adopté. C’est en arrivant aux romans qui nous peignent les époques plus voisines de la nôtre que nous allons le voir sur son terrain, avec la saveur et le bouquet du cru.

Il est clair que le péché originel du roman historique se fait sentir de moins en moins à mesure que l’auteur place ses récits dans un temps plus rapproché du sien. Il se réduira même presque à rien dans le cas où le romancier doit à des circonstances particulières d’être parfaitement au courant et personnellement imbu des traditions et des idées qui avaient cours deux ou trois générations avant lui : ce fut précisément le cas pour van Lennep, et c’est pourquoi nous avons insisté sur ses origines de famille. Dans un pays connu par la ténacité de ses coutumes et de ses mœurs, van Lennep, appartenant à une classe sociale restée fort longtemps identique à elle-même, grandit au milieu de vieillards quelque peu déconcertés par les événemens qui leur avaient enlevé le pouvoir, mais conservant d’autant mieux le langage, les idées, les souvenirs d’autrefois. De même que notre vieille noblesse française se perpétua quelque temps encore après la révolution, avec ses manières et son esprit du XVIIIe siècle, — au point que ceux-là seulement comprennent bien le siècle dernier qui ont encore pu entendre les derniers survivans de cette société à jamais disparue, — de même l’ancien patriciat municipal de Hollande, bien qu’ayant perdu sa raison d’être, se conserva en esprit longtemps encore après sa chute politique, et même je ne voudrais pas jurer qu’en étudiant attentivement le jeu et la composition des partis actuels dans l’état néerlandais, on ne le retrouverait pas subsistant à l’état latent, sous d’autres noms, très modifié sans doute, mais au fond dominé toujours par sa tendance originelle, le libéralisme oligarchique. Quelques explications sur le rôle et l’importance de ce patriciat municipal de l’ancienne république hollandaise nous paraissent ici nécessaires.

La révolution du XVIe siècle trouva dans les Pays-Bas deux genres d’appui dont l’union fit la force : une famille d’hommes de génie, la famille d’Orange, eu qui s’incarnèrent les grandes passions po-