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toyer sur les cheveux blonds de ses héroïnes et sur leurs robes moirées; elles versent aux cavaliers le vin d’honneur et lisent seules dans les jardins pleins d’ombre. Van Lennep aime la lumière et les jeux de lumière, et les varie beaucoup. En cela encore, il est de son pays; il n’est pas de contrée plus riche que les Pays-Bas en effets de lumière bizarres ou intenses.

À ces éminentes qualités d’écrivain, auxquelles nous devons joindre un style varié, toujours aisé, naturel et clair, s’associent toutefois des défauts qu’il nous faut signaler à leur tour. Le premier de tous, un défaut auquel nous sommes peut-être plus sensibles en France qu’on ne l’est en Hollande, c’est une prolixité qui prend sa source dans un certain besoin consciencieux d’être complet et de tout dire, mais qui alourdit souvent la marche du récit, et que tout l’esprit de l’auteur, qui en a beaucoup, quelquefois même trop, ne parvient pas toujours à rendre supportable. Se rappelle-t-on ces Breughel où sur des toiles de trois décimètres carrés sont peintes des maisons d’un pouce de haut dont on peut compter les briques? C’est admirablement fait, ce n’est ni beau ni vrai. On croit être exact, reproduire la réalité, et l’on se trompe. La réalité en peinture n’est pas ce qui est, c’est ce que nous voyons, et nous ne voyons pas les choses de cette manière. De plus on peut reprocher à van Lennep une trop grande confiance dans quelques moyens surannés de piquer l’intérêt des lecteurs. Par exemple, le nombre de ses enfans d’origine inconnue, dont la famille se découvre à la fin du roman pour qu’ils puissent se marier, ce nombre est décidément excessif. Parfois aussi, comme dans le roman d’ailleurs si intéressant de Ferdinand Huyck, le dénoûment est amené d’une manière violente et forcée. Enfin nous aurions souvent lieu de lui reprocher de ne pas savoir s’effacer assez complètement comme auteur. La bonne dose d’humorisme dont il était pourvu peut lui servir d’excuse. Il n’en est pas moins vrai que trop souvent, au moment même où la fiction vous captive le plus par son cachet de réalité, la figure très expressive, mais dont on n’avait que faire en cet endroit, du spirituel écrivain se montre derrière le texte comme pour vous rappeler qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce qu’il vous raconte là. « Mais taisez-vous donc avec vos traits d’esprit, serait-on tenté de lui dire comme Mme Pury à l’époux dont nous parlerons bientôt; qui diantre vous forçait à vous montrer ainsi? »

Ces défauts n’empêchaient pas les romans de van Lennep d’être les plus lus et les plus goûtés de la population hollandaise, qui lit beaucoup. Des traductions avaient répandu les principaux en Angleterre et en Allemagne. Pendant quelques années, sa plume, auparavant si féconde, sembla inactive. On pensait qu’essentiellement