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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/905

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barrasser ainsi de leurs enfans : ce sera alors une objection contre l’universalité de la loi morale ; mais le fait n’en est pas une. Locke lui-même le reconnaît. « On objectera peut-être, dit-il, qu’il ne s’ensuit pas qu’une règle soit inconnue de ce qu’elle est violée. L’objection est bonne lorsque ceux qui n’observent pas la règle ne laissent pas de la recevoir en qualité de loi… Mais il est impossible de concevoir qu’une nation entière rejetât publiquement ce que chacun de ceux qui la composent connaîtrait certainement et infailliblement être une véritable loi. » Fort bien, il faudra donc rechercher avec soin, lorsqu’on citera telle pratique sauvage, si c’est une corruption plus ou moins répandue, mais non justifiée, ou si c’est un vrai préjugé accepté publiquement. Ainsi, par exemple, le duel est une pratique plus ou moins sauvage, qui dans les temps modernes a fait de nombreuses victimes ; cependant il a toujours été condamné par les moralistes et par la religion, les gouvernemens ne l’ont pas moins proscrit, et ceux-là mêmes qui obéissent aux funestes lois du duel, sont les premiers à reconnaître que, sauf un petit nombre de cas où tout autre mode de justice est insuffisant, cette pratique est aussi absurde qu’elle est odieuse. J’ajoute même que le duel ne s’est défendu si longtemps que parce qu’il a quelque chose de beau moralement : la mort affrontée de sang-froid, le sentiment de l’honneur, qu’aucune loi positive ne peut défendre aussi efficacement, etc.

Dans d’autres cas, il faut remarquer au contraire que, précisément parce que le fait dont il s’agit est prescrit et réglementé par la loi, il cesse d’avoir la signification qu’il aurait, s’il était le résultat d’une pratique universelle et spontanée. Par exemple, le larcin était permis à Sparte par la loi ; faut-il en conclure qu’à Sparte il n’y avait pas de propriété ? C’est le contraire évidemment, car on ne peut permettre le larcin que là où la propriété existe et est reconnue. S’ensuit-il de cet usage que le vol était considéré comme légitime en toutes circonstances ? En aucune façon, car il est évident que dans ce cas le larcin, étant consenti d’un commun accord entre le voleur et les citoyens, perdait le caractère du vol ; si je consens à ce que vous me preniez quelque chose, évidemment vous ne me volez pas. Les Spartiates, pour favoriser l’adresse à la guerre, autorisaient donc cette sorte de jeu, qui était soumis à des règles fixes. C’est comme si on disait qu’à Rome on ne reconnaissait pas la distinction des maîtres et des esclaves parce qu’aux saturnales la loi et la coutume permettaient que les rapports du maître à l’esclave fussent passagèrement intervertis.

Il faut encore écarter du débat toutes les coutumes, mœurs, institutions, qui sont diverses selon les divers peuples, selon leur situation géographique, leur climat, leur tempérament, et qui