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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/93

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les gros poissons et sur leurs écailles. Évidemment c’est une histoire identique en deux éditions : laquelle est la première ? celle de Zurich ou celle de Lucerne ? Encore un problème analogue à celui de la pomme de Guillaume Tell et à l’histoire de l’enfant qui dénonce un complot en s’adressant à un poêle. Dans la poésie populaire, le plagiat est la règle. Faut-il croire que cette troisième romance est un morceau de rapport, un embellissement de seconde main ? Autre difficulté. Le poète a négligé de nous expliquer comment Hans Roth apporta dans sa barque les deux coupes d’argent à Lucerne. Comme il y a des hauteurs et même de vraies montagnes entre le lac de Lucerne et celui de Sempach, l’explication n’était pas superflue. Si les ballades suisses avaient la dignité des poèmes antiques sur les Argonautes, les érudits se seraient peut-être attachés à résoudre cette difficulté, comme les poètes grecs cherchaient à ramener le vaisseau Argo de la Mer-Noire dans la Méditerranée sans passer par le Bosphore. Ce qui n’offre pas matière au doute, ce qui est plein de vérité et de justesse, c’est le batelier mettant en sûreté la valise. Ce brave pêcheur et le poète qui chante sa bonne fortune sont bien les ancêtres des vainqueurs de Charles le Téméraire et des hôteliers de la moderne Helvétie.

Après le combat, le deuil et les pleurs : c’est le sujet de la quatrième et dernière romance. Les pâles messagers, rompus de fatigue, blêmes de terreur, courent annoncer de toutes parts le désastre. Ah ! noble dame d’Autriche, votre seigneur est couché sur la terre au loin ; les paysans lui ont donné la mort ! L’archiduchesse jette des cris au ciel ; elle voudrait être morte avec son cher époux. Courez à ce champ de désastre, à Sempach, devant la forêt, et ensevelissez le npble archiduc ! Portez-le dans un couvent, portez-le à Kœnigsfelden ; c’est là qu’il doit être enterré. Il faut entendre aussi les lamentations des chevaliers tout le long du Rhin.


« Les seigneurs sur le Rhin disent en recevant leurs messagers qui pleurent : — L’archiduc est donc mort dans et sur son bien, au milieu de ses possessions[1]. Çà ! voilà qui changé notre compte ! S’il était resté chez lui, il n’eût pas souffert de mal !

« A quoi sert d’avoir apporté un grand tonneau avec lui, un grand tonneau de cordes, et des provisions de lacets de potence ? Çà ! si Dieu lui avait donné la victoire, tous ces confédérés eussent été pendus !

« S’il n’avait mené tout ce bruit, s’il n’avait montré cette arrogance, la noblesse serait demeurée dans ses terres, comme par le passé. Çà ! il faut bien le dire, trop est toujours trop, et voilà pourquoi le jeu a fini si tristement ! »

  1. Ce sont les propres paroles de Léopold : « Dans, sur et parmi mon bien. »