vérités immuables et absolues, et cependant la science géométrique est progressive. Chacune des vérités dont se compose la vérité géométrique se déroule successivement à nos yeux; des principes nous tirons les conséquences, et chaque conséquence nouvelle est une acquisition, un progrès : de théorème en théorème la science se développe sans que la vérité subisse pour cela le moindre changement. Il en est ainsi de toutes les sciences, même des sciences expérimentales. La physique et la chimie n’ont pas pour objet de ces vérités que l’on appelle en logique absolues, c’est-à-dire nécessaires et évidentes a priori; mais ces vérités n’en sont pas moins immuables, elles sont toujours les mêmes depuis l’origine des choses, quoique nous n’apprenions à les connaître que peu à peu, et les erreurs dont elles ont été l’objet ne prouvent nullement qu’elles soient en elles-mêmes chancelantes et arbitraires.
Pourquoi n’en serait-il pas de même en morale? Il y a des lois morales comme il y a des lois physiques, il y a des vérités morales comme des vérités géométriques. En elles-mêmes, ces vérités et ces lois sont absolues, immuables, universelles; mais elles ne nous apparaissent pas d’abord tout entières, ni toujours avec leurs vrais caractères. Nous faisons en morale de fausses hypothèses ou des hypothèses incomplètes tout comme en physique; mais l’erreur ne prouve point qu’il n’y ait pas de vérité. La morale se tire de la connaissance de plus en plus approfondie de la nature humaine. Elle a deux sources, la dignité humaine et la fraternité. A mesure que les hommes comprennent mieux la valeur de la personne humaine et l’identité de nature qui existe entre les hommes, la morale s’étend et s’éclaire. Cette double connaissance exige à la fois le développement de la pensée et du sentiment. De même que les hommes n’ont pas eu tout d’abord l’idée des lois de la nature et de l’ordre dans l’univers et ne sont arrivés que lentement à cette conception, de même ils n’ont pas eu tout d’abord le sentiment de la valeur de l’homme, ni celui de la communauté d’essence ou de la solidarité qui unit les hommes entre eux.
Le progrès moral n’a donc rien d’incompatible avec l’immutabilité intrinsèque des vérités morales. On peut dire au contraire que sans l’hypothèse d’une morale absolue résidant au fond de notre conscience, c’est le progrès qui est inexplicable, car le changement n’est pas le progrès. S’il n’y a pas quelque chose d’essentiellement bon et vrai, on ne voit pas comment tel état social vaudrait mieux que tel autre, pourquoi le respect de la vie humaine vaudrait mieux que la cruauté sauvage, pourquoi l’égalité humaine vaudrait mieux que l’esclavage, pourquoi la tolérance religieuse vaudrait mieux que la foi sanglante du moyen âge, ou la