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tage pour la même transaction. Ces opinions paraissent assurément très exagérées aujourd’hui, après l’expérience qui a été faite depuis 1848; mais on ne s’explique pas bien encore comment tant de centaines de millions versées chaque année par les mines ont pu entrer dans la circulation sans laisser plus de traces. C’est un point qui mérite d’être éclairci.

Nous sommes à vingt années du commencement de l’exploitation des mines de la Californie, à dix-sept de celles de l’Australie. Ce qui a été versé d’or par ces mines, en dehors des autres sources de production, peut bien être évalué à 15 ou 16 milliards. Nous avons donc sous les yeux un champ d’observations assez large déjà, et si par ce qui s’est passé pendant ces vingt années on ne peut pas conclure d’une façon absolue à ce qui se passera dans l’avenir, tant les phénomènes monétaires sont complexes et subissent l’influence des circonstances, on peut au moins en tirer quelques inductions utiles. Pour certains auteurs, la valeur que possède ce que l’on appelle les métaux précieux vient de ce qu’ils peuvent servir à des usages industriels, à l’ornementation par exemple. On admet bien qu’ils tirent aussi une valeur de l’utilité monétaire, mais on subordonne l’une à l’autre, et quand on oppose notamment la valeur intrinsèque des métaux précieux à d’autres signes conventionnels dont on voudrait faire des instrumens de circulation, comme le papier, on vante bien vite l’avantage qu’ils ont d’être propres à des usages industriels, et on a l’air de supposer que c’est en raison de cette qualité qu’ils ont été adoptés comme signes monétaires. Rien n’est plus faux : l’industrie, pour ses divers usages, n’emploie pas un dixième des métaux précieux qui sont produits, c’est le chiffre donné par tous les hommes compétens qui se sont occupés de la question. Par conséquent sur les 40 et quelques milliards qui ont été extraits des mines depuis trois siècles, sur les 18 ou 20 milliards qui en ont été extraits depuis 1848, si on retranche un quart pour la perte, et qu’on ne considère que les usages industriels, il resterait environ 40 milliards dont la valeur n’aurait pas de base. Ils en ont une pourtant, c’est l’utilité monétaire, à côté de laquelle l’utilité industrielle n’est rien, et c’est précisément parce qu’ils ont celle-là et qu’elle est des plus solides qu’on a eu l’idée de se servir de l’or et de l’argent pour l’ornementation; autrement on n’y aurait pas plus songé qu’on ne songe à faire des bijoux et de l’orfèvrerie avec du fer ou avec du cuivre. La vérité est donc le contraire de ce qu’on prétend; c’est la valeur comme signe monétaire qui a conduit à la valeur comme matière d’ornementation. On a quelquefois dit que c’était par suite d’une convention que ces métaux étaient devenus des signes monétaires, qu’on aurait pu en