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verve abondante en images avec laquelle les poissardes invectivent. Voyez-le par exemple dans ce petit tableau du musée d’Anvers, une Noce de village, où il a reproduit le cancan de l’ancienne canaille hollandaise avec une souplesse de vie vraiment admirable. C’est une noce de riches paysans ou plutôt de demi-bourgeois, et tous les serviteurs de la ferme s’en donnent à cœur-joie dans la cuisine où, selon l’antique coutume, le repas de noce a été servi. Pour laisser place à leurs ébats, on a relégué dans un coin la table des époux, où trône une blonde mariée d’une gentillesse insignifiante, mais la seule personne décente de cette société. Quel quadrille échevelé! Il faut aller au bal masqué de l’Opéra pour en trouver un pareil. Et cette frénésie ne respecte ni le sexe ni l’âge. Au milieu de ces personnages, il en est un qui se fait remarquer plus particulièrement par une certaine allure traînante, une manière d’étendre la jambe, de laisser pendre le bras, de plier la hanche, d’imprimer au corps une certaine molle attitude, qui font autant d’honneur à la souplesse du pinceau de Steen que peu d’honneur à son gai compère, car ce compère est un vieillard. Dans un coin de la salle, un mirliflore de village, placé au pied d’un escalier qu’il s’apprête à monter, cligne de l’œil à une servante à laquelle il a visiblement besoin de dire deux mots, et celle-ci, en fille bien apprise, s’empresse de dépêcher sa besogne afin de ne pas faire attendre ce si beau monsieur. Quelquefois on ne sait pourquoi ni comment cette verve atteint aux effets bouffons les plus puissans. Le musée de Bruxelles contient de cette verve un spécimen qu’on ne peut contempler sans un éclat de rire. Une grosse commère assise dans une cabane sourit à un jeune gars, pêcheur de son état sans doute, qui lui montre un beau poisson qu’il vient de prendre. Or cette capture rend le gars si fier qu’il en danse sur un pied en tirant à la bonne femme une langue longue de deux pouces. Ce qu’il y a d’esprit dans l’expression de cette jovialité saugrenue est incroyable. Cependant il y a un tiers dans cette scène, un personnage méphistophélique dont les traits rappellent ceux de notre romancier C..., — si C..., par parenthèse, a vu les tableaux de Jean Steen, il doit beaucoup les aimer, — et ce personnage, de sa main étendue en éventail sur la pointe de son nez prise comme base de sa grotesque opération, fait successivement la nique aux deux autres avec un sourire d’un machiavélisme dont la bêtise ne laisse rien à désirer. C’est évidemment un malin qui en pense plus long qu’il n’en dit; mais que diable pense-t-il? La réunion de ces trois variétés de la bêtise produit un effet comique dont il est fort difficile de se rendre compte, mais qui est incontestable.

Ce personnage méphistophélique du tableau de Bruxelles se rencontre fréquemment dans les toiles de Steen, et toujours avec le