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véritables et de ne pas introduire dans leurs œuvres des individus d’espèce chimérique et de construction fantastique. Notons que l’École des Beaux-Arts, le centre du haut enseignement des arts du dessin en France, n’est pas pourvue d’une chaire d’anatomie comparée. On n’en trouve une qu’au Muséum d’histoire naturelle ; encore l’anatomie y est-elle plutôt enseignée au point de vue scientifique qu’au point de vue des formes extérieures. On est très porté à penser, et les dessinateurs eux-mêmes sont les premiers à tomber dans cette erreur, que la perspective et surtout l’anatomie n’ont rien à voir avec l’enseignement populaire, et que pour le dessin industriel on peut aisément s’en passer. On s’en passe moins bien qu’on ne croit. Quiconque dessine doit pouvoir se rendre compte des lois élémentaires de la perspective, qui lui permettent de juger de la distance, des formes, du raccourci des objets, et avoir quelques notions d’anatomie, auxquelles d’ailleurs les enfans et les adultes prennent goût volontiers. Il faut connaître la position des os et des muscles pour reproduire avec fidélité et intelligence les contours des corps vivans. L’expérience prouve d’ailleurs combien de pareilles connaissances sont essentielles aux artistes industriels ; ceux qui y restent étrangers demeurent toujours d’une infériorité sensible dans leurs travaux de dessin. L’Allemagne et l’Amérique ont compris quelle en est l’utilité. Dans leurs écoles sont suspendus de grands tableaux qui fournissent des renseignemens anatomiques ; les yeux des enfans se familiarisent peu à peu avec ces tableaux quand même leur attention resterait distraite. Chez nous, on trouve ces études trop scientifiques. On aime mieux développer l’habileté de main, à laquelle tout effort d’esprit est étranger. « Ceux qui s’éprennent de la pratique sans nulle science, disait Léonard de Vinci, ne savent jamais où ils vont. »

Après la France, on est naturellement amené à parler des autres pays latins. Ils ne brillent pas, il faut le dire, par l’enseignement populaire du dessin. Ils sont pour la plupart en arrière au point de vue de l’énergie de l’effort sur les populations saxonnes et germaines. Il semble qu’on s’y repose sur une ancienne réputation de supériorité, et qu’on s’y croie, comme ce personnage de Molière, être en état de tout savoir sans avoir rien appris. Les hommes du midi, doués d’une pénétration rapide, se sont fiés souvent à leur vivacité en toute chose, et l’expérience ne leur a point jusqu’ici donné complètement tort. En fait de dessin particulièrement, une certaine facilité de concevoir et d’exprimer les images leur a tenu lieu souvent du travail nécessaire pour se creuser un sillon. Il est à craindre cependant qu’ils n’éprouvent un jour que

Rien ne sert de courir, il faut partir à point.