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HENRI.

Dame ! un poltron, poussé dans ses derniers retranchemens, devient féroce. Si vous aviez suivi nos chasses de l’automne, vous auriez vu un cerf, c’est-à-dire le plus timide des animaux, charger la meute comme un tigre. J’avoue que votre situation n’était pas absolument satisfaisante ; mais enfin, telle quelle, on la pouvait prolonger un certain temps. Il est jeune, la vie est pleine d’accidens heureux qui raccommodent bien des choses. Au lieu de laisser faire au hasard, ce vieil ami des amoureux, vous mettez le marché à la main d’un enfant qui prend peur, qui renonce à tout, qui s’abandonne, et qui m’envoie ici pour vous dire : « On aime mieux se priver de vous voir que de demander grâce à la famille. »

DIANE.

Ah ! c’est ainsi ?

HENRI.

Exactement.

DIANE.

Vous avez lu ma lettre ?

HENRI.

Oui. Délicieuse, mais trop carrée, comme on dit depuis quelque temps.

DIANE.

Et il me prend au mot ?

HENRI.

Que voulez-vous qu’il fasse ?

DIANE.

Tout, excepté cela. Je ne vous pardonnerai jamais cette conduite.

HENRI.

La sienne, madame ?

DIANE.

La vôtre. Si vous aviez une mauvaise nouvelle à m’annoncer, pourquoi prolonger mon supplice ? On dirait que vous avez pris plaisir à mes angoisses, vous qui êtes pourtant un homme fort. Ce n’est pas généreux, monsieur. La mode de brûler les gens à petit feu est passée depuis un certain temps, même chez les sauvages.

HENRI.

Que vous vous méprenez ! Personne au monde ne vous considère et, permettez-le, ne vous aime plus que moi.

DIANE.

Il s’agit bien de vous, en vérité ! Écoutez, monsieur de Rouvray, vous ne connaissez pas ma vie.

HENRI.

Mon Dieu, je la connais strictement dans les limites du possible et du permis, et le peu que j’en sais n’est pas fait pour éteindre ma sympathie bien naturelle.