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voisinage. Ce qui n’est pas moins louable, Martin mourait pauvre ; il avait enrichi ses compatriotes sans s’enrichir lui-même. Ceux qui lui succédèrent ne montrèrent pas toujours le même désintéressement.

Il serait superflu de parler des gouverneurs fort insignifians qui se succédèrent à Pondichéry pendant vingt ans après la mort de François Martin. Il ne serait pas moins inutile de rappeler l’incroyable agiotage qui de 1716 à 1720 se fit dans la rue Quincampoix sur les actions de la compagnie des Indes. Law avait fait entrer la Louisiane et le Canada, les Indes orientales et la Mer-Rouge, la Chine et le royaume de Siam, dans une compagnie unique qui monopolisait le commerce du monde entier. Cette monstrueuse association fondait en France le port de Lorient, battait monnaie, faisait la banque, et finalement disparaissait, comme chacun sait, dans une banqueroute gigantesque. Des débris de ce grand désastre financier sortit une compagnie perpétuelle des Indes avec un capital d’environ 100 millions, dont la presque totalité était dévorée d’avance. À peine les directeurs pouvaient-ils armer chaque année trois ou quatre navires. En même temps les gouverneurs de la colonie manquaient de cet esprit d’initiative qui pousse aux grandes entreprises. Les factoreries françaises languissaient. Par bonheur, elles eurent alors une longue période de paix pour se consolider. Leur splendeur date de l’époque où nous allons voir les gouverneurs se mêler aux affaires intérieures du Carnatic, faire alliance avec les souverains natifs, passer par degrés du rôle de vassaux à celui de protecteurs des royaumes indigènes.

Benoît Dumas, qui prenait en main le gouvernement de Pondichéry au mois de septembre 1735, était arrivé dans l’Inde à l’âge de dix-sept ans pour tenir l’un des emplois secondaires de l’ancienne compagnie. Appelé peu d’années après à siéger dans le conseil suprême, puis chargé d’administrer les îles de France et de Bourbon, Dumas revenait à Pondichéry avec la réputation d’un homme plein d’expérience, prudent et néanmoins résolu. Par caractère, il inclinait vers une politique de paix et de tranquillité ; les circonstances lui dictèrent une conduite bien différente. Dès les premiers temps de son séjour, il obtenait du souverain de Tanjore la ville de Karikal, dix villages situés aux alentours de cette ville et les terrains en dépendant. Cela mettait les Français en face de l’ancienne et importante colonie hollandaise de Négapatam et de Tranquebar, possession danoise. Aucune nation d’Europe ne possédait sur la côte de Coromandel un établissement aussi considérable ni aussi étendu. Ce qui valait mieux encore qu’une extension de territoire, cela donnait aux monarques indigènes l’habitude de recourir