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gouvernement du roi résolut d’envoyer en une fois une armée de 3, 000 hommes appuyée d’une escadre nombreuse. C’était l’élite de l’armée française ; les noms les plus aristocratiques de la noblesse figuraient dans les cadres de cette petite expédition. Le commandement en chef était dévolu au comte de Lally-Tollendal, l’un des généraux les plus remarqués de l’Europe. Fils d’un Irlandais réfugié, Lally avait fait ses premières armes en Espagne et sur le Rhin ; l’opinion publique attribuait la victoire de Fontenoy à une manœuvre hardie dont il aurait eu l’inspiration au milieu de la bataille. Chargé d’une mission diplomatique en Russie, il s’en était acquitté avec bonheur. M. Malleson manifeste pour ce héros infortuné une admiration rétrospective qu’il nous serait difficile de partager. Raide, arrogant, confiant en lui-même, Lally avait l’aplomb superbe des gens heureux qui n’ont jamais lutté contre les difficultés de la vie, et se font honneur de triomphes dus à des circonstances propices. Il y a comme cela des favoris de la fortune pour lesquels l’épreuve décisive vient tard ; quelquefois elle ne vient jamais. Ignorant des affaires de l’Inde autant qu’homme du monde, ce général partait avec la double qualité de commandant en chef et de commissaire du roi pour toutes les possessions françaises de l’extrême Orient. La seule idée nette qu’il nourrît sur la contrée où il allait faire la guerre était un profond sentiment de défiance contre tous les représentans et fonctionnaires de la compagnie des Indes ; à l’en croire, c’étaient des agens infidèles, ineptes et négligens, qui ne songeaient qu’à s’enrichir par des voies illicites. Leur expérience des hommes et des choses du pays, il n’en parlait qu’avec dédain, persuadé que l’on réussissait sous tous les climats à la condition d’agir promptement et de bien se battre. Il paraît au reste que les directeurs de la compagnie en France avaient contribué à le maintenir dans cette opinion. Par un contraste étrange, le comte d’Aché, qui commandait l’escadre, était aussi timoré que Lally était présomptueux.

Partie de France le 2 mai 1757, l’expédition ne débarquait à Pondichéry que le 28 avril de l’année suivante, après avoir perdu plusieurs mois par des relâches prolongées et des erreurs de route impardonnables. Une partie de l’armée avait précédé le gros de l’escadre ; mais le chevalier de Soupir, qui était à la tête de ce détachement, était dépourvu d’initiative, le gouverneur de Leyrit n’en avait qu’une dose médiocre, et ces deux hommes en eussent eu davantage qu’ils se seraient encore abstenus d’agir, tant le caractère ombrageux de Lally les effrayait. Bien plus, ils n’avaient préparé ni vivres, ni munitions, ni bêtes de somme ou de trait, et le trésor était vide. Il n’y avait donc pas moyen d’entrer tout de suite en campagne. Cet ajournement était regrettable, car les Anglais n’é-