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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/207

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d’années, les épreuves les plus dures, elle subit en ce moment même une détresse qui anéantit un capital énorme et jette dans la misère des milliers de familles. L’importance des questions d’économie sociale et financière qui se trouvent liées à cette industrie n’est que trop hautement proclamée par l’Enquête sur les sels récemment publiée. Néanmoins les résultats de cette enquête ne fournissent pas sur l’état des choses toutes les lumières qu’on était en droit d’en attendre. Les lacunes semblent tenir surtout à un programme primitivement mal conçu et à des moyens d’investigation sur place insuffisans. En nous servant de ce document administratif, nous chercherons à le compléter par des renseignemens personnels.

Les marais salans faisaient vivre dans la région du bas de la Loire environ dix mille personnes. Ils y occupent sur les deux rives deux bassins comprenant ensemble près de 3,000 hectares : c’est à peu près le huitième de l’étendue qu’ils recouvrent sur les côtes de l’ouest à partir de la Gironde jusque dans la Manche. Le marais de la rive droite se divise en deux branches distinctes, le salin de Guérande, de Batz, du Croisic, du Pouliguen d’une part, celui de Mesquer, de Saint-Molf et d’Assérac de l’autre. Centre commercial de tout ce pays, la ville de Guérande le domine du haut du coteau sur lequel elle est bâtie. C’est une cité d’un autre âge, entourée de remparts élevés, ne communiquant avec le dehors que par quatre portes où l’on aperçoit encore la trace des ponts-levis. Des arbres gigantesques la cachent complètement à l’extérieur, et de la plaine elle apparaît moins comme une ancienne place de guerre des temps féodaux que comme un nid de verdure. Les collines environnantes contrastent tout à fait avec les bords des marais salans, les vignes et les céréales y réussissent à merveille; les terres touchant aux salines sont au contraire dépouillées de toute parure végétale. Il ne faudrait pas croire cependant que l’aspect général soit triste. De nombreux villages animent le paysage, et la vue est agréablement bornée du côté de l’Océan par les monticules verts et les allées d’arbres qui égaient les abords du Croisic et du Pouliguen. Au centre, le Bourg-de-Batz, édifié sur un fond de solides rochers, montre la haute tour de son église et les murailles ruinées d’une ancienne abbaye. Son petit port, presque toujours désert, est un coin des plus pittoresques. La mer s’y montrant terrible dans ses jours de furie, la nature semble avoir voulu y rassembler tous les moyens de défense. Ce sont d’énormes rochers de formes capricieuses, tantôt se dressant comme des faisceaux de lances, tantôt couchés comme d’énormes sphinx que le flot polit sans cesse, tantôt ressemblant à des vagues qui auraient été subite-