Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Klauzál et la tranchante logique de Moritz Szentkirályi, aussi acérée, disait-on, que son scalpel, la diète de 1843-1846 n’avait amené aucun résultat. L’opposition avait manqué d’un chef pour la conduire au combat. Après les élections de 1847, elle en trouva un dans Kossuth, qui avait pris pour mot d’ordre : « avec vous ou sans vous, et même contre vous; » mais tous les députés n’étaient pas disposés à le suivre. Széchenyi insista vivement auprès de Deák pour fonder un parti de la gauche modérée ayant pour devise « le progrès et la liberté sans révolution, » et se donnant pour mission de combattre à la fois Kossuth et le gouvernement. Deák s’y refusa toujours. Il ne croyait pas qu’il lui fût permis d’affaiblir le parti national par une scission déclarée, et il préférait courir les chances d’un soulèvement plutôt que de donner des armes au despotisme. Le parti libéral commença de voir clairement le lien intime qui unissait le sort de la Hongrie à celui des états héréditaires. Aussi longtemps que ceux-ci resteraient soumis à un régime despotique, les libertés hongroises seraient menacées. Le même souverain ne pouvait être à la fois maître absolu à Vienne et roi constitutionnel à Presbourg. La souveraineté du peuple et le self-government anglo-saxon au-delà de la Leitha et la compression à outrance de Metternich en-deçà, un pareil contraste ne pouvait durer. C’est ce que démontrèrent les deux députés du comitat de Tolna, Bezerédj, l’écrivain humanitaire, et Perczel, qui fut plus tard général des honveds. C’était la ferme conviction de Deák. Aussi a-t-il fait insérer dans l’Ausgleich de 1867, qui a établi le dualisme actuel, que, comme la Hongrie, l’autre moitié de l’empire serait dotée d’institutions constitutionnelles.

Il put espérer un moment que ses vœux allaient se réaliser, même pour les états héréditaires, quand le contre-coup de la révolution de février vint, comme un tremblement de terre, jeter bas l’ancien régime. On assure cependant que sa confiance en l’avenir fut vite ébranlée. Quand il vit dans tout l’empire les populations et leurs meneurs si peu préparés à jouir d’une liberté régulière, les dépositaires du pouvoir si imbus des anciennes idées autocratiques, les nationalités si aveuglées, si injustes dans leurs prétentions et leurs haines réciproques, il se sentit pris d’une grande tristesse, et il répétait souvent : « C’est le commencement de la fin. »

Le comte Louis Batthyányi, chargé de former le premier ministère hongrois, était parvenu à y faire entrer Széchenyi et Kossuth, le premier comme ministre des finances, le second comme ministre des travaux publics. Pour établir une entente entre ces deux antagonistes, la veille encore si acharnés l’un contre l’autre, il fallait un intermédiaire dont tous deux respectassent l’autorité. Le sage