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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/25

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liberté, de l’égalité devant la loi, ils pouvaient s’enrichir par le travail. Il les éclairait, les consolait; il leur communiquait l’amour de la justice et de la patrie qui l’animait lui-même, et ils s’en retournaient chez eux prêts à verser leur sang sous les ordres de leurs anciens maîtres pour la défense de ces mêmes lois dont ils avaient accusé l’iniquité.

Dans son administration, Deák avait pris pour mot d’ordre cette belle maxime qu’il répétait souvent à ses employés : « voulez-vous être libres, commencez par être justes. » Il disait aussi : « Soyez justes envers les petits, si vous voulez que les grands le soient envers vous. » De concert avec Szalay et Eötvös, il reprit l’élaboration d’un code criminel qui mérita la haute approbation de l’illustre Mittermayer et des principaux criminalistes allemands. Il prépara également la loi sur le jury. Au sein du ministère, il appuyait toujours avec Batthyányi, Eötvös, Mészárós et Klauzál les mesures qui permettaient une entente avec l’Autriche. Il voulait éviter la rupture complète, dont il n’avait cessé de prévoir et de prédire les funestes conséquences. La Hongrie aurait dû surtout éviter de s’aliéner la sympathie des libéraux et des capitalistes autrichiens. En instituant le régime de l’union personnelle, il aurait fallu faire immédiatement le partage de la dette. Avec moins de 200 millions de florins, la Hongrie se dégageait alors de toute solidarité financière avec l’Autriche. Depuis lors il lui a fallu accepter une charge triple. Dans les débats de l’hiver dernier, Deák s’est prononcé très nettement à ce sujet. « Nous avons commis, disait-il, une grande faute en 1848. Je dis nous parce que, moi aussi, j’y ai participé. On prétendait nous faire intervenir dans des dettes contractées sans notre assentiment. Nous n’y étions ni légalement ni équitablement tenus. La faute du ministère de Vienne fut d’exiger comme un droit ce qui de notre part ne pouvait être qu’une concession. La nôtre fut de nous arrêter à une question de forme, et de ne pas accepter aussitôt une transaction qui eût épargné bien du sang. Quels progrès nous aurions faits depuis! A quel degré de prospérité ne serions-nous pas parvenus! » Les amis de Deák prétendent que c’est à tort qu’il s’accuse d’avoir sur ce point méconnu l’intérêt véritable du pays. Il aurait vu dès lors clairement la voie à suivre, mais il aurait été impuissant à faire prévaloir son opinion.

Et en effet, entre la cour de Vienne, qui jetait les Croates et les Serbes sur les Hongrois pour leur enlever les droits qu’elle avait été forcée de leur concéder, et les patriotes exaspérés, qui ne voyaient de salut que dans l’insurrection, il n’y avait plus de place pour le parti qui voulait s’en tenir fidèlement à la légalité. En temps de révolution, les partis extrêmes restent seuls en pré-