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avec des rebelles. Ce mot a coûté cher à l’Autriche. Il lui a valu l’humiliation d’être vaincue par la Hongrie d’abord, et l’humiliation plus périlleuse encore d’être sauvée par la Russie. Ces rebelles gouvernent aujourd’hui à Pesth, et c’est en s’inclinant sous le drapeau tricolore de la révolution que l’empereur est monté sur « la colline du couronnement. » Combien la destinée de l’Autriche et de son jeune souverain eût été différente, si dès lors il avait tendu la main à cette déesse invincible qui s’avance à travers notre siècle, renversant tout ce qui fait obstacle à sa marche triomphante, la liberté ! Que la poignante responsabilité de la rupture définitive et du sang versé retombe sur ceux qui l’ont provoquée! Il ne restait aux Hongrois d’autre alternative que l’humiliation complète ou l’appel aux armes. Ils préférèrent tirer du fourreau le sabre des Bethlen et des Rákóczi. Certes on ne peut leur en faire un crime, ils avaient pour eux le droit national et le droit historique; mais Deák, l’homme de la légalité, n’avait plus rien à faire sur une scène livrée désormais au hasard des batailles. La première partie de sa carrière politique prit fin avec ce triste jour de la Saint-Sylvestre où il revint du camp autrichien ayant perdu tout espoir d’un arrangement pacifique. Quand la diète se transporta à Debrec4n, il ne l’y suivit pas.


II.

Pendant que les armées autrichiennes envahissaient le pays, Deák vivait dans son domaine de Kehida sans se cacher. Lorsque les Hongrois, victorieux à leur tour, réoccupèrent Pesth et Bude, il ne voulut pas quitter sa retraite. Au milieu d’une révolution, ni son caractère ni ses idées ne lui permettaient d’être utile à son pays; il préférait s’effacer. On n’a pas oublié les sanglantes exécutions qui suivirent la capitulation de Villágos, le comte Batthyányi, le comte Leiningen, Nagy Sandor, Damjanich, Torok, Aulich, Lanner, Kiss, fusillés ou pendus. Ce fut encore une grande faute. Aucun gouvernement ne s’est jamais sauvé par des vengeances politiques. Ceux qu’on tue se transforment en martyrs, et ne meurent plus. Ils ressuscitent pour le châtiment de leurs juges. L’an dernier en Hongrie, j’ai vu partout aux vitrines les portraits des victimes de 1848 rattachés ensemble par le même crêpe funéraire. Tandis que ses anciens collègues se dérobaient aux poursuites par l’exil, Deák n’était point inquiété; il n’eut pas d’interrogatoire à subir. La pureté de son caractère semblait inspirer le respect, même à ses ennemis. Il reprit peu à peu sa vie habituelle, se rendant à Pesth, ou à Vienne, quand ses affaires l’y appelaient. Il se remit avec ar-