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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/291

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s’inspirait d’une large et féconde pensée. Il portait dans le gouvernement le respect et l’affectueuse préoccupation de tout ce qui touche à l’intelligence; il traitait avec une sympathie attentive, avec le désir sincère de les honorer et de les voir grandir, les lettres, les arts, les sciences, et en même temps, c’est par lui qu’était préparée la première loi organisant sérieusement l’instruction primaire. Il ne se bornait pas seulement à se donner le lustre d’une loi libérale sur l’enseignement du peuple, il en surveillait l’application, il entrait en communication directe avec les instituteurs pour les exciter et les relever à leurs propres yeux. Le ministre de l’instruction publique faisait son devoir avec la supériorité d’une intelligence accoutumée à ne point s’effrayer des libertés et des progrès de l’esprit humain. Comme politique associé à la direction des affaires générales du pays, M. Guizot reste l’expression vivante d’un de ces deux systèmes que la révolution de 1830 mettait en présence, et dont l’antagonisme forme en quelque sorte le nœud des destinées du régime de juillet. Il a sa place dans les prospérités et dans les revers de cette monarchie, dont il a eu l’étrange fortune de conduire les funérailles après l’avoir reçue à son berceau, et ici je voudrais saisir de plus près le rôle de M. Guizot, la part de ses idées et de son action dans cette émouvante aventure du dernier régime constitutionnel, où les grands bonheurs sont suivis de si prompts désastres.

M. Guizot, cela n’est pas douteux, a été par son talent comme par son caractère une des forces de la monarchie constitutionnelle de 1830. Il a été mêlé à tout ce qu’elle a fait, et il a partagé ses revers sans les comprendre. S’il a été emporté avec elle, ce n’est point parce qu’il n’était pas libéral, M. Guizot est peut-être dans un certain sens un des esprits les plus libéraux de notre temps; je veux dire que ce qui lui plaît et ce qui l’attache dans le régime représentatif, c’est l’émulation toujours excitée, c’est la mêlée des opinions et des partis relevée et ennoblie par la grandeur des intérêts qui s’agitent. Plutôt que de vaincre sans combat, il préférerait presque, je pense, le combat sans la victoire. Il aime la lutte pour elle-même, pour les émotions qu’elle donne, en homme qui croit à la puissance de la vérité dans la discussion, peut-être aussi parce qu’il se sent de force à la soutenir. Même dans sa retraite d’aujourd’hui, au souvenir des anciens combats auxquels il n’a pas assisté, il retrouve de ces accens d’un soldat désespéré d’être retenu loin du champ de bataille. — Un jour, vers la fin de 1832, au moment où les plus graves questions s’agitaient dans les chambres et où ses compagnons du ministère du 11 octobre, M. de Broglie, M. Thiers, faisaient seuls face à l’ennemi, il se trouvait malade; il souffrait de son immobilité plus encore que de son mal. « Je n’ag-