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ce seraient des chevaux marins, des cerfs gigantesques, des dinothériums, des pachydermes primitifs, des anthracotheriums et des porcs de la grosseur du bœuf. Je voudrais entendre ses pipeaux au temps où la Sicile était encore jointe à l’Afrique et où un grand Nil d’eau douce abreuvait le berger et le troupeau de l’Atlas à l’Etna. Pour un berger monstrueux, ne faut-il pas un troupeau monstrueux ?

Michel-Ange a eu la vision de ces choses; ses Titans, le jour et la nuit, ouvrent l’aube des époques géologiques bien plus qu’ils n’appartiennent à une époque marquée de l’histoire humaine.


VII. — L’ESPRIT HISTORIQUE APPLIQUE AU MONDE VEGETAL.

Nous demandons aujourd’hui à chaque peuple : d’où viens-tu? quels sont tes parens, tes ancêtres ? Es-tu né en ce pays, ou descends-tu d’une terre étrangère? L’histoire nous répond, et c’est ainsi que nous parvenons à comprendre l’état actuel de chaque nation. La révolution française n’a pu s’expliquer sans l’ancien régime, ni les États-Unis d’Amérique sans le puritanisme anglais, ni l’Amérique méridionale de nos jours sans l’Espagne de Philippe II et le régime colonial, ni le pape sans César, ni l’homme moderne sans l’homme du moyen âge et de la réforme. Même dans les Moldaves et les Valaques d’aujourd’hui nous avons retrouvé les Italiens de Trajan. Chaque événement nous renvoie à un événement antérieur.

Non-seulement nous avons cherché les ancêtres de chaque fait, mais aussi de chaque pensée. Ce qui semblait le plus capricieux, le plus spontané, poésie, philosophie, a été ramené à ces lois de développement et d’enchaînement qui sont l’esprit de suite à travers les âges. Même les rêves les plus subtils, systèmes, utopies, ombres qui passent et repassent dans l’intelligence, ont dû répondre à cette question : d’où venez-vous? Interrogée, la famille des chimères a dû montrer ses parens et ses plus lointaines origines. Soit dans la réalité, soit dans la fiction, la loi de la génération des siècles a été la pensée constante de quiconque s’est illustré de nos jours dans l’ordre littéraire ou philosophique.

Chaque nation, fouillant ainsi son passé, se donnait pour tâche intellectuelle de retrouver ses stations successives dans le temps. C’est pour avoir établi cette solidarité entre les périodes de la vie de chaque peuple que le génie de notre temps est si éminemment historique. Ce n’est pas une curiosité vaine qui tourne l’homme de nos jours vers ses origines. Il s’est aperçu qu’il ne peut se connaître aujourd’hui qu’en se connaissant tel qu’il était hier. Le problème de Socrate, le nosce te ipsum, borné au présent, était insoluble. La science nouvelle a commencé en interrogeant le passé.

Qu’est-il arrivé de là? Une chose inévitable : que ce même esprit,