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de nouvelles faunes, un monde supérieur à l’humanité. Sur cela ils ferment leur livre, et prennent congé de nous, comme s’il s’agissait de la proposition la plus simple du monde.

Mais pour nous il en est autrement ; nous les avions pris pour guides, et ils nous ont conduits de rochers en rochers, d’observations en observations, au bord d’un précipice où le monde actuel disparaît. Pourquoi nous laissent-ils errans et désarmés en face de cet inconnu où le plus ferme esprit a peine à se défendre du vertige? Pressons leur texte et voyons ce qu’il renferme.

Étrange prophétie que les naturalistes nous jettent en se jouant! Y ont-ils bien pensé? Combien elle surpasse toutes les prophéties des Isaïe et des Ézéchiel! Dans celles-ci, il s’agissait toujours de pauvres empires, Égypte, Médie, Babylonie, condamnés à périr; maintenant ce n’est pas d’un empire qu’il s’agit, c’est du genre humain lui-même. Sa disparition est annoncée, on lui marque ses jours; l’heure viendra où il ne sera plus, et pourtant la terre sera encore habitée. Ce dernier point est celui qui nous pèse le plus.

L’homme savait en effet qu’il n’est pas immortel; mais jusqu’ici il s’était persuadé que, s’il devait périr, tout ce qui a vie périrait avec lui; il se figurait qu’il avait si bien pris possession de la terre qu’elle ne pouvait désormais appartenir qu’à lui. L’idée d’avoir des successeurs n’était jamais entrée dans son esprit; puis c’était sa consolation de penser que, s’il venait jamais à manquer au monde, le vide qu’il laisserait ne pourrait se combler, tant il croyait avoir rempli de lui la terre et le ciel. Toujours l’homme s’était représenté qu’il était devenu nécessaire à l’univers, si bien que, lui disparu, l’univers aussi disparaîtrait à son tour.

Il s’était même figuré qu’à l’origine des choses sa chute seule avait entraîné la chute de la nature entière; tout s’était obscurci avec lui. Que serait-ce donc de l’anéantissement de son espèce! Sans doute l’anéantissement de toute chose animée. Son dernier jour devait être un jour d’horreur pour l’univers. Sans lui, plus de vie, plus de progrès, une terre vide et désolée, orpheline, qui porterait à jamais le deuil de l’homme disparu, le globe devenu un sépulcre; partout le silence, le froid, des continens déserts. Pour pleurer à jamais une si grande perte que celle de l’homme, il fallait le pleur éternel de la terre et des cieux.

Voilà comment il se consolait de la mort par la mort de tout ce qui a vie aujourd’hui dans le monde. Quelle fleur oserait encore se