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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/438

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c’est dans nos aspirations, et les qualités que nous préférons entre toutes sont celles qui sont contraires à notre nature. C’est ainsi que tous ces riches vendeurs et tisseurs de laine, fouleurs, tanneurs, élevèrent autrefois ces édifices qui sont comme des aspirations à la grâce, délicates comme le désir d’où elles sortirent, solides comme les mains qui les élevèrent. Nul peuple peut-être n’a su assouplir et rendre la pierre riante comme les Flamands. Ces charmans édifices n’ont aucune rigidité, rien qui rappelle la résistance de la matière qui les a formés ; on dirait que ces pierres furent une espèce de chair susceptible de prendre les mouvemens les plus délicats: de là l’aspect pittoresque des édifices flamands. Ceux qui aiment à rapporter à une faculté principale toutes les manifestations les plus éloignées de la vie d’un peuple trouveront ici une confirmation de leurs théories à laquelle ils n’ont pas songé peut-être. Les Flamands sont peintres avant tout, et ils ont porté dans leur architecture leurs qualités de coloristes. Leurs édifices rient à l’œil, qu’ils amusent, comme le plus éclatant de leurs tableaux. De tous les échantillons de ce pittoresque architectural, le plus achevé est certainement la place de l’hôtel de ville de Bruxelles.

C’est mieux que le décor d’un tableau, c’est un tableau tout fait. La place est disposée à souhait pour les jeux de l’ombre et de la lumière. Les maisons des métiers, délicatement ouvragées, appellent aux fenêtres et aux portes comme complément naturel ces riches costumes et ces couleurs variées que repoussent au contraire les édifices au style sévère et les demeures aux façades unies. On n’a aucune peine à se représenter le gai spectacle que pouvait offrir cette place les jours de fête et de tournois seigneuriaux, lorsqu’une foule bariolée la bordait et que les bustes des riches bourgeoises des métiers se penchaient aux fenêtres afin de contempler les simulacres d’exploits des grands de ce monde. Et quelle admirable arène de tournois, surtout quand on la compare à celle que d’autres villes accordaient à leurs princes et chevaliers! Certes lorsqu’un bourgeois de Bruxelles visitait Francfort, la ville impériale, et qu’il voyait cette étroite place, comprise entre le Rœmer et la cathédrale, où dans les jours solennels s’ébattaient les chevaliers, il devait se sentir fier et pouvait dire à quelqu’un de ses compères de la vieille ville libre : « Vraiment, c’est là tout l’espace que vous accordez à vos seigneurs, cette arène de combats de coqs où les deux adversaires n’ont pas de champ pour s’élancer l’un contre l’autre, et où il doit arriver de deux choses l’une, ou bien qu’ils s’embrochent du premier coup, ou bien que faute d’élan ils ne se font jamais aucun mal, sans compter que grâce à cet étroit champ clos l’éclat d’une lance d’un chevalier maladroit ou malheureux peut