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qu’aiment les Magyars. Le style en est simple, sans aucune recherche et presque sans éclat. Ce qui en fait la force, c’est la justesse, l’enchaînement logique, la déduction rigoureuse des considérations. Il parle à la raison, non à l’imagination ; il veut convaincre, non éblouir et entraîner. Quand il riposte à ses adversaires, il a parfois recours à la plaisanterie ou à une douce ironie, jamais il ne les blesse par son dédain ou ses sarcasmes; il les réfute sans les humilier. En quelques mots, il dépouille leurs raisonnemens des voiles dont ils ont su les envelopper; il en tire le fond, qu’il expose aux regards, et qu’il combat en invoquant des principes admis par tous. Il porte ses scrupules d’honnêteté jusque dans le choix de ses argumens, et il ne voudrait pas l’emporter, s’il devait en employer un dont la valeur lui fût suspecte. Il n’excite pas d’enthousiasme, mais il commande le respect. Ce n’est pas un orateur, c’est plutôt un sage.

On lui a reproché d’avoir manqué de courage en 1848; la phrase stéréotypée était « nem bàtor, hanem böles, il est plus sage que brave. » Le reproche était injuste. Il n’a fait que rester fidèle à ses convictions. Il a toujours voulu l’autonomie et la liberté pour la Hongrie, mais sans la séparer de l’Autriche. Dès qu’on eut rompu une union qui, d’après lui, était indispensable au salut de son pays, il se retira dans la vie privée. Il ne pouvait combattre pour des principes absolument contraires aux siens. Il manque peut-être de passion; mais n’est-ce pas pour cela qu’il est si clairvoyant et si prudent, et qu’il exerce sur ses ardens compatriotes une si salutaire influence? Il forme avec eux un contraste complet. Au milieu de cette nation brillante, avide de mouvement, de beaux costumes, de combats, de jeux, éprise de poésie romanesque et de belles paroles, il offre le type d’un bon bourgeois allemand. Son extérieur, ses allures, sa mise, sa façon de vivre, manquent complètement d’élégance aristocratique. Malgré ses soixante-cinq ans, il a conservé toute sa vigueur; ses larges épaules n’ont point fléchi, sa taille épaisse et même un peu lourde ne s’est point courbée, ses cheveux seulement commencent à grisonner, et sous ses épais sourcils en désordre brillent ses petits yeux pleins comme autrefois de malice et de bonté. Le menton fortement marqué et la figure carrée expriment la persistance d’une volonté forte. On devine l’homme qui en tout s’attache au réel, au solide, au vrai, et qui ne sacrifie rien aux illusions ni aux chimères. D’orgueil et de vanité, il n’en a point de traces. Sa vie est si simple que ses besoins ne dépassent pas ceux d’un artisan. Pour un homme politique, c’est une force; il ne sacrifiera à l’argent ni son indépendance ni son temps, il n’en aura même pas la tentation. Les folles dépenses de Mirabeau l’ont