Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ivraie peut en toute légitimité se déclarer la sœur des honnêtes céréales; mais il ne faut point s’étonner de ces anomalies. Nous sommes loin de prétendre que toute plante exprime clairement ce qu’elle est par sa physionomie; certaines, peu explicites ou de perfide aspect, donnent de leur véritable nature une très fausse idée. M. de Candolle est porté à penser que les exemples négatifs peuvent le plus souvent être attribués soit à des observations inexactes, soit à des classifications erronées, en un mot aux lacunes de la science. En revanche, les preuves affirmatives sont d’une éloquence irréfutable, et l’on peut en trouver jusque dans l’instinct des animaux, qui, par une sorte d’intuition, recherchent ou fuient des groupes entiers de végétaux. On sait que les bœufs s’éloignent des labiées et des véroniques, que les chevaux ont une sorte d’aversion pour beaucoup de crucifères, que bœufs, chevaux, moutons et chèvres, qui semblent redouter la plupart des solanées, recherchent avec avidité les graminées et les légumineuses. La même remarque s’applique aux insectes. Chaque famille renferme donc un ensemble de types analogues qui trahissent par des ressemblances extérieures la similitude des propriétés intimes. Les solanées, dont nous ferons ici une étude spéciale, forment un groupe qui ne le cède à aucun autre pour la netteté des contours et l’unité de physionomie.


I.

Les solanées ou solanacées constituent une des plus riches et des plus intéressantes familles végétales; aussi leur histoire est-elle fort complexe. Si parmi les pièces qui figurent à leur dossier il en est qui puissent leur faire honneur, il s’en trouve en revanche, et beaucoup, dont elles pourraient difficilement se glorifier. Disons tout d’abord que le nom de solanées, tiré de solanum, dont le radical paraît être solari, calmer, consoler, n’est au fond qu’une véritable usurpation dès qu’il s’applique à la famille entière. Outre que les solanum, en français morelles[1], ne possèdent pas tous des propriétés lénitives, il est dans la famille beaucoup d’autres plantes, et ce sont justement les plus célèbres, qui ne représentent rien moins qu’une collection d’empoisonneuses. Le nom de solanées a été donné par de Jussieu à la famille entière par l’unique raison qu’elle renferme le genre type des solanum, et ce ne fut que bien plus tard que l’on eut l’idée d’appeler consolantes ces plantes sinistres (belladone, datura, jusquiame, mandragore), qui dès avant le moyen

  1. Morette, servant autrefois de féminin à moreau, diminutif de more, signifie noir; c’est une allusion à la couleur des baies de l’une de nos espèces indigènes.