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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/478

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larmes, il y a trois jours que je n’en ai plus, et en même temps il tira de sa bouche une petite pelote d’étoupe goudronnée! »

En résumé, et pour conclure en quelques mots, les symptômes généraux produits par l’action toxique des solanées se montrent avec une constance qui peut fournir des indications précieuses aussi bien à la sollicitude de la thérapeutique qu’aux perquisitions de la médecine légale. Cette action éminemment irritante des solanées se concentre particulièrement dans l’encéphale et les méninges, où elle est rendue manifeste par le resserrement des tempes, la rougeur de la face, la céphalalgie intense, le délire et les convulsions. L’irritation, tel est donc le premier effet produit. Plus tard, il s’en manifeste un second, la stupeur; mais, qu’on le remarque bien, cette stupeur n’a précisément d’autre cause qu’une irritation exaltée et portée à son comble. Ce n’est que lorsque l’inflammation cérébrale a distendu par une congestion sanguine tous les organes encéphaliques, qui se trouvent alors comprimés dans la boite osseuse, que commence ce narcotisme profond et lourd qui caractérise l’empoisonnement par les solanées. Aussi ce narcotisme diffère-t-il un peu de celui que déterminent certains autres somnifères plus ou moins caïmans, tels que l’opium par exemple. Dans ce dernier cas, c’est plutôt l’alanguissement du système nerveux ou le ralentissement de la circulation sanguine qui amène le sommeil; dans le premier au contraire, c’est parce qu’elle est surmenée d’abord, puis réduite à l’impuissance par ses propres excès que l’activité vitale tombe en torpeur. Le pavot, dans une certaine mesure, détend les ressorts, dissocie les forces, atténue les fonctions de l’organisme. Les solanées, par un procédé différent, exaltent les énergies, remplissent le crâne d’expansions douloureuses qui finissent par amener l’engourdissement, mais un engourdissement plein de révoltes qu’enchaîne la paralysie. Les solanées ne sont donc point à un si haut degré qu’on a bien voulu le dire ces consolantes tant vantées, ces endormeuses des douleurs de l’humanité. Ce sont bien des empoisonneuses narcotiques, mais acres; elles sont stupéfiantes après coup, mais tout d’abord irritantes, lénitives à doses presque infinitésimales, mais toujours dangereuses, franchement repoussantes enfin ou belles d’une inquiétante beauté, et c’est dans l’étude de ces caractères redoutables que la physiologie végétale trouve une fois de plus la confirmation de la loi d’après laquelle il existe généralement une certaine solidarité entre l’expression sensible des individualités et l’essence des propriétés qu’elles présentent.


ED. GRIMARD.