Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minuent. On en est à supputer déjà les chiffres de la majorité libérale, et on dirait vraiment qu’il ne reste plus d’incertitude que sur l’importance de cette majorité. Entre les deux chefs d’opinion qui sont plus particulièrement en lutte, c’est M. Disraeli qui est en déclin, c’est M. Gladstone qui monte ; on le voit déjà au pouvoir à la tête d’une masse compacte prête à le soutenir dans la réalisation de ses idées sur l’église et sur les finances. L’opposition triomphe avant le combat.

Ce n’est pas que le ministère ne fasse bonne contenance et qu’il s’abandonne dans la lutte. Il stimule le zèle de ses amis, qui font ce qu’ils peuvent pour rallier la grande armée conservatrice et protestante, et lui-même il s’adresse au pays, il fait des discours. Il y a quelque temps, lord Stanley parlait avec une mesure habile dans une réunion à Liverpool, et ces jours derniers encore M. Disraeli saisissait l’occasion du banquet du lord-maire de la Cité de Londres pour relever les succès de la politique du cabinet. Il a eu un de ces mots comme il en a quelquefois, qui respirent une confiance pleine de naïveté ou de calcul. Il a rappelé avec complaisance qu’il y a déjà douze mois à pareil jour il annonçait que la paix ne serait pas troublée sur le continent ; il a laissé entendre que FAngleterre, qui n’était pas étrangère à ce résultat, s’y emploierait encore plus que jamais, et il a continué avec bonne humeur : « J’espère que l’année prochaine, lorsque j’aurai l’honneur, à l’occasion de ce même banquet, de vous rendre votre toast, il me sera permis de vous rappeler ces observations, et que les ambassadeurs de France et de Prusse, qui seront peut-être présens, se lèveront alors, et donneront à notre réunion cet intérêt tout particulier que le ministre d’Amérique lui a donné cette fois-ci par son important discours. » Il paraît que l’auditoire, en applaudissant à cette promesse, n’a pu contenir un mouvement d’hilarité devant un homme qui parlait si bien, qui semblait si parfaitement sûr de se voir encore premier ministre dans un an.

Le cabinet anglais triomphe de sa politique extérieure, et dans le fait il a aujourd’hui un succès qui vient à propos. Le différend qui existait depuis la guerre de la sécession entre l’Angleterre et les États-Unis au sujet de la construction des navires corsaires vient d’être définitivement arrangé par lord Stanley et le nouveau ministre américain, M. Reverdy Johnson. Quant à la médiation anglaise qui doit dissiper tous les ombrages entre la France et la Prusse, c’est peut-être un peu pour la beauté du discours que M. Disraeli l’a laissé entrevoir ; mais, quand cela serait, la question n’est pas là pour le moment. Ce n’est pas la politique extérieure qui met aujourd’hui les partis aux prises en Angleterre. Le système que lord Stanley suit avec une habile tenue, le ministre des affaires étrangères d’un cabinet Gladstone le suivrait dès demain, parce que c’est une politique essentiellement anglaise depuis quelques années ; — c’est cette politique de désintéressement et de paix que M. de Beust l’autre