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que de celui qu’ils feraient à Savone. Pie VII, privé, on s’en souvient, de la société de ses plus intimes serviteurs, s’était vu retirer depuis peu tous ses livres. On lui avait enlevé papiers et plumes, et sans doute aussi, puisqu’elle lui était maintenant si complètement inutile, cette belle écritoire en or ciselé que le comte Salmatoris avait aux premiers jours de sa captivité fait avec tant d’apparat transporter dans son cabinet. La lecture du Moniteur, la promenade dans le petit jardin de l’évêché, étaient maintenant les seules distractions permises à Pie VII. M. de Chabrol avait grand soin que le Moniteur ne lui manquât jamais, et quand les numéros de la feuille officielle de l’empire contenaient quelques nouvelles propres à agir sur l’esprit de son prisonnier, il s’arrangeait de façon qu’ils fussent plus particulièrement mis sous ses yeux. S’il prêta une suffisante attention aux adresses insérées dans le Moniteur de janvier, février et mars 1811, Pie VII put reconnaître qu’à l’exception de cinq chapitres qui gardèrent un silence significatif, tous les chanoines des évêchés maintenus en Italie s’étaient empressés de se conformer au mot d’ordre envoyé de Paris. En parcourant le libellé de ces innombrables manifestations, il ne tint non plus qu’à lui de constater à quel point elles étaient semblables les unes aux autres et toutes calquées sur le même modèle. C’est qu’en effet un certain abbé Forloni, théologien du prince Eugène, tenait bureau ouvert d’adresses à Milan, et en fournissait tous ceux qui lui en demandaient. Parfois aussi les préfets nommés par Napoléon ne dédaignaient pas d’y mettre eux-mêmes la main afin d’être plus assurés qu’elles fussent tout à fait conformes à ce qu’on attendait d’eux à Paris. Parmi ces pièces d’origine italienne les plus propres à lui causer une douloureuse surprise, comment. Pie VII n’aurait-il pas remarqué avec une tristesse amère les adresses votées par les chanoines de son ancien diocèse d’Imola et par ceux de Savone, sa résidence actuelle[1]? Pour nous qui avons sous les yeux les lettres quotidiennes de M. de Chabrol, nous sommes porté à croire que cet actif fonctionnaire aura voulu, pour tirer d’embarras le chapitre de son département, prendre lui-même la plume en cette délicate circonstance, tant on retrouve dans le factum soi-disant ecclésiastique du chapitre de Savone les expressions habituellement employées par le préfet de Montenotte, et que lui-même, pour plus de sûreté, avait le plus souvent le soin d’emprunter aux dépêches de son impérial correspondant. Quoi qu’il en soit, la teneur de ce document, empreint du plus fanatique enthousiasme, fut si agréable à l’empereur que cinq jours après qu’il eut paru au Moniteur Na-

  1. Voyez le Moniteur du 4 et du 5 mars 1811.