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annonçaient un discernement admirable, un bon sens exquis ; mais, si quelqu’un de ses ministres ou quelque autre personnage de poids venait à combattre son opinion tête à tête et l’obsédait d’instances, cet excellent pontife abandonnait son sentiment pour suivre celui d’autrui, qui souvent n’était pas le meilleur. Ses ennemis attribuaient cette facilité à une grande faiblesse d’esprit, à un amour excessif du repos. D’autres personnes plus justes la regardaient comme l’effet de sa singulière modestie et d’une trop grande défiance de ses propres lumières[1].

Nous avons raconté comment M. de Chabrol avait su découvrir et mettre à profit ces légères défaillances, nous avons fait voir, à l’aide de leurs propres lettres, avec quelle persistance le préfet de Montenotte et les évêques députés avaient toujours présenté à Pie VII les prélats de l’empire, le clergé entier de France, comme adhérant avec unanimité aux doctrines impériales, et le futur concile national comme disposé à aller bien au-delà de ce qui lui était alors directement demandé par Napoléon ; nous avons indiqué sous quelles noires couleurs évêques et préfet s’étaient entendus pour lui dépeindre les suites incalculables d’un refus, et le danger imminent du schisme qui allait diviser l’église. Quand on songe à cet ensemble d’efforts si habilement concertés, à ces terribles assauts journellement renouvelés contre un pauvre captif laissé dans la complète ignorance de tout ce qui se passait hors des murs de sa prison, épuisé par huit jours d’une lutte incessante soutenue sans appuis, sans conseillers, sans espoir de secours, sans lueur de délivrance, effrayé de la perspective de l’avenir et de l’immense responsabilité qui allait peser sur lui par suite de sa détermination, quelle qu’elle fût, on est plutôt porté à admirer le courage de Pie VII qu’à condamner sa faiblesse, et, d’accord avec son ancien secrétaire d’état le cardinal Pacca, on trouve, pour nous servir de ses propres expressions, que ce vénérable vieillard était « bien plus digne à coup sûr de compassion que de blâme. » Et cependant le cardinal Pacca lui-même n’a jamais tout su des scènes dramatiques de Savone, car Pie VII n’a pu les lui raconter tout entières, telles qu’elles ressortent pour la première fois aujourd’hui dans leur lugubre tristesse de la correspondance du préfet de Montenotte.

Ce n’était ni une indisposition ordinaire ni une légère altération de santé que le docteur Porta avait remarquée chez le pape peu de jours après l’arrivée des évêques, et dont il s’était empressé de faire part à M. de Chabrol. Pie VII ne s’était pas servi d’un prétexte

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 384.